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L’extrême droite en Europe, une force qui grimpe - Interview

« Nous vivons la fin d’une époque : celle des tabous idéologiques hérités de la 2de Guerre mondiale »

Pour Jean-Yves Camus, politologue et spécialiste de l'extrême droite, ce sont les formations modernisées, celles qui se situent à la charnière de la droite traditionnelle et de l'extrême droite, qui ont le vent en poupe.

Propos recueillis par É.S.

Q - Peut-on considérer comme similaires les partis d'extrême droite ayant enregistré des succès électoraux ces derniers temps en Europe ? En quoi diffèrent-ils les uns des autres ?
R - « Ils diffèrent par le contexte historique et idéologique des différents pays : l'Autriche, qui a connu le national-socialisme, est très différente de la Hollande et des pays scandinaves, modèles traditionnels de sociétés ouvertes et libérales. Les pays ex-communistes sont encore un autre cas d'espèce : la définition de l'identité nationale y conserve une forte composante ethnique ; communisme et nazisme y sont souvent mis sur un pied d'égalité et ces pays n'ont pratiquement pas connu la démocratie pluraliste depuis leur création. On constate que les partis ouvertement néo-fascistes sont marginaux. Ceux qui réussissent ont modernisé leurs méthodes et leur discours. Ils ont en commun la détestation du multiculturalisme, de l'immigration extra-européenne en général et de l'islam en particulier (de l'islam, pas de l'islamisme). Ils sont sceptiques vis-à-vis de la construction européenne sous sa forme actuelle, c'est-à-dire libérale et plutôt fédéraliste. Ils sont populistes dans le sens où ils opposent le « bon sens » du peuple au dévoiement supposé des élites. »

La montée en puissance de l'extrême droite a-t-elle les mêmes raisons en Suède, aux Pays-Bas ou encore en Hongrie ? Existe-t-il, notamment, des différences entre l'Europe de l'Est (Hongrie), l'Europe nordique (Pays-Bas, Suède) et l'Europe de l'Ouest (Italie) en ce qui concerne les raisons de la popularité de leurs extrêmes droites ?
« La différence principale tient au fait que dans les pays d'Europe de l'Est et dans les Balkans, la filiation idéologique entre l'extrême droite actuelle et celle des années 30-40 est encore forte, alors qu'elle est marginale en Europe de l'Ouest. C'est en Scandinavie qu'est née, au milieu des années 70, la famille des partis populistes xénophobes, qui avaient aussi une forte dimension antifiscalité, anti-État Providence. C'est ce modèle qui est en train de s'étendre avec succès : il s'agit de formations situées à la charnière de la droite traditionnelle et de l'extrême droite, ce qui leur confère une respectabilité que n'ont pas les
néofascistes. »

La montée de l'extrême droite en Europe est-elle symptomatique d'un effondrement de la gauche
européenne ?
« D'un effondrement non, mais d'un malaise profond, sans aucun doute. Malaise dans la définition de l'identité européenne, dans l'élaboration d'un projet de société qui concilie l'acceptation de l'économie libérale et la maîtrise de la mondialisation, malaise lié à la distanciation du lien avec une base populaire qui ne peut plus se réduire à une classe ouvrière traditionnelle, laquelle a perdu son importance au profit de classes moyennes souvent précarisées. La gauche a enfin tardé à réaliser que le discours angélique sur les questions de sécurité ne portait plus, et elle reste mal à l'aise dès qu'il s'agit de définir une identité nationale qui intègre le
multiculturalisme. »

Cette semaine, Nicolas Sarkozy était qualifié, en une de l'hebdomadaire américain « Newsweek », de figure du « nouvel extrémisme en Europe ». En mai dernier, en Hongrie, le Premier ministre Viktor Oban, surfant sur le souvenir de la « Grande Hongrie », déclarait vouloir accorder la nationalité hongroise aux 3,5 millions de magyarophones qui vivent dans les pays voisins (Slovaquie, Roumanie, Autriche, Croatie, Ukraine et Slovénie). Une revendication généralement portée par l'extrême droite hongroise. Quel est l'impact de la montée des extrêmes droites sur les partis de droite traditionnels en Europe ? Les droites européennes ont-elles tendance à reprendre à leur compte des thèmes de l'extrême droite ?
« En France comme en Italie, la frontière commence à se brouiller entre l'aile droite de la droite et l'extrême droite. L'adhésion des électeurs aux thèmes sécuritaires et à la stigmatisation des immigrés gagne du terrain. Cela n'autorise certes pas à considérer Nicolas Sarkozy comme un homme d'extrême droite. Mais il est clair que nous vivons la fin d'une époque : celle des tabous idéologiques hérités de la Seconde Guerre
mondiale. »

Quel est l'impact de la montée de l'extrême droite sur l'Europe et son idéal communautaire ?
« Mis à part sur la question des Roms, où d'ailleurs la France a été la seule à être montrée du doigt alors que d'autres pays ne se comportent guère mieux, l'Europe est muette sur la montée de l'extrême droite.
Le mécanisme des sanctions adopté en 2000 contre l'Autriche a montré son inefficacité (en 2000, après l'entrée dans le gouvernement autrichien de membres du FPO, parti d'extrême droite populiste, Bruxelles mit l'Autriche à l'écart de ses partenaires européens pendant huit mois. Bruxelles avait notamment interdit aux membres de l'Union de soutenir les candidats autrichiens postulant au sein d'organisations internationales, NDLR). Il est à craindre qu'elle ne puisse guère aller au-delà des condamnations de
principe. »
Propos recueillis par É.S. Q - Peut-on considérer comme similaires les partis d'extrême droite ayant enregistré des succès électoraux ces derniers temps en Europe ? En quoi diffèrent-ils les uns des autres ?R - « Ils diffèrent par le contexte historique et idéologique des différents pays : l'Autriche, qui a connu...