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Lifestyle - Hotte d’or

Ma Misfit

Hier, elle a eu 76 ans. Comme chaque année depuis 35 ans, je prends avec elle le petit déjeuner dès 08h45 sous un olivier de La Madrague. Juste elle et moi. Juste Brigitte Bardot et moi - en 1972, elle a gravé sur un tronc Brigitte et Marguerite ; elle ne m'appelle que Mag, et moi Maman BB. Ou Maman bébé. Chaque année, le menu est immuable : fromage blanc aux myrtilles fraîches, pain aux figues, œufs à la coque dans lesquels nagent quelques grains noirs d'esturgeon, la salade de radis (elle ne la fait faire que pour moi), une tarte Tatin et des balthazars de Veuve Clicquot rosé millésimé. Depuis sa tentative de suicide aux bulles et à l'imménoctal le 28 septembre 1960, elle ne boit du champagne qu'une fois par an : le 28 septembre au matin. Avec moi. J'ai la mémoire qui flanche, Mag,
teste-moi. Chaque année depuis six ans, c'est le même rituel. Alors on commence. Moi : Quel est ton deuxième prénom ? Elle : Anne-Marie. Moi : Comment s'appelle ton mari ? Elle : Bernard. Moi : L'homme que tu as le plus
aimé ? Elle : Jean-Louis. Moi : Qui a dit que tu es encore une légende vivante mais que tu es devenue tellement bizarre qu'il est impossible de te garder intacte ton aura d'autrefois et que l'admiration que
tu voues aux chiens est effarante ? Elle : Ta copine, cette garce impertinente de Marlène Dietrich. Moi : Qui a dit que les Français pensent qu'à bouffer, qu'ils sont gros
et gras et meurent d'un infarctus ? Elle : Moi. Moi : Pourquoi Deneuve ne te parle plus ? Elle : Parce que j'ai dit que parrainer une peau de lapin pour une ancienne Peau d'Âne, quelle tristesse... Et parce que j'ai dit que j'étais ravie que La Sirène du Mississipi ait été un très gros bide. Moi : Qui est ta jumelle ? Elle : Sophia Loren. Moi : De qui tu as dit qu'il était le rêve impossible de toutes les femmes ? Elle : Anthony Perkins. Moi : Qui tu as traité d'intello gauchiste cradingue en disant qu'il te hérisse ? Elle : Jean-Luc Godard (à chaque fois, elle éclate de rire). Moi : Qui a écrit Le Mépris ? Elle : Tu es dégueulasse. Je t'ai dit mille fois que je ne me souviens jamais de ce nom. Moi : Alberto... Elle : Moravia. Grrr. C'est ça : Moravia. Moi : Qui tu as giflé comme une folle ? Elle : Henri-Georges Clouzot. Mais il m'avait giflée avant ce méchant bonhomme. Moi : Que mets-tu pour dormir ? Elle : Hahahahahahahaha. Mag, tu es inénarrable. Moi : Réponds. Que mets-tu pour dormir ? Elle : Le bras de mon amant. Et là, immanquablement, elle ferme les yeux et s'endort en quelques secondes à peine. Ma Mamma Bébé est une Misfit. Désaxée et inadaptée. Mais c'est ma Mamma BB qui m'avait dit un jour que la seule chose qu'elle a toujours voulu, c'est être Marilyn Monroe. Elle disait : Je l'adorais, j'aurais voulu être elle, avoir sa personnalité et son caractère, je ne la regardais que fascinée. Je la recouvre d'un shatoosh rose pâle qu'elle a conservé depuis des décennies et je me lève pour donner à Marushka, la doyenne des chattes siamoises habitant La Madrague, sa gâterie annuelle : un minibol de champagne qu'elle lape comme une Elizabeth Taylor avant son vingt-neuvième séjour au centre Betty Ford, et je l'entends, lorsqu'elle s'éloigne lentement, miauler un divin miam-miam.

margueritek@live.com
Hier, elle a eu 76 ans. Comme chaque année depuis 35 ans, je prends avec elle le petit déjeuner dès 08h45 sous un olivier de La Madrague. Juste elle et moi. Juste Brigitte Bardot et moi - en 1972, elle a gravé sur un tronc Brigitte et Marguerite ; elle ne m'appelle que Mag, et moi Maman BB. Ou Maman bébé. Chaque année, le menu est immuable :...
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