Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Hotte d’or

La 34e

Je répétai leurs noms dans mon demi-sommeil. Leurs 33 noms. Sans discontinuer, comme un disque rayé. Florencio. Carlos. Victor. Edison. Franklin. Ariel. Luis. Alex. José. Dario. Yonni. Jorge. Raul. Et tous les autres. Mes loulous. Mes pauvres loulous coincés depuis le 5 août à 700 mètres de profondeur dans une mine. Dans le désert d'Atacama au Chili. Quel nom troublant pour un désert : Atacama. On dirait un dieu inca ivre de rage, de fureurs et de revanches. Un dieu de haine et de tortures. Mes loulous. Mes pauvres loulous enterrés vivants et aujourd'hui fatigués et en colère. Je suis moi-même très en colère. Il est indécent de laisser de si jolis hommes aux muscles si doux et si parfaits et qui sentent bon le charbon noir, légionnaires du IIIe millénaire, croupir, mourir lentement, sûrement ! Même si la solidarité de tout leur pays doit amoindrir leurs douleurs. Même si l'espoir (qu'un plan A, un plan B, voire un plan F réussisse) fait vivre. Mes loulous chéris. Je dois, il est urgemment indispensable que je contribue à assouplir leur calvaire. J'appelle ex abrupto mon amie Michelle Bachelet, l'ancienne présidente chilienne, et nous convenons de nous rendre ensemble sur les lieux du drame. Juste avant, j'appelle le délicieux Philippe Aractingi à qui je demande de me filmer : dans ce court-métrage oscarisable, je parle à mes hommes, mes 33 hommes, dans un espagnol très Arielle Dombasle qui aurait donné une gigantesque érection à n'importe quel impuissant. Dans ce court-métrage, habillée d'une salopette en skai mauve Jean-Paul Gaultier et chaussée d'interminables stilettos bicolores Stella McCartney, je supplie mes héros de tenir bon, je leur dis : Hombres, vous êtes le Chili à vous seuls, vous êtes une nation, vous êtes la patrie, vous êtes le pays, vous êtes l'Amérique du Sud, soyez ces toros latinos que la planète entière admire et salue et dans 48 heures, je serai avec vous, je vous embrasse, Margot. Effectivement, deux jours plus tard à peine, nous nous tenons madame la présidente Bachelet et moi-même au pied de la mine. Je suis harnachée comme Madonna sur scène, un micro couleur pink bubble-gum devant les lèvres et filmée. Par le long tuyau qui leur apporte vivres et autres nourritures spirituelles (j'ai insisté pour qu'on leur livre 33 bouteilles de Veuve Clicquot rosé cuvée 1985 frappées à souhait), on descend un câble au bout duquel a été fixé un petit écran à cristaux liquides qu'un des mineurs ouvre de ses doigts virils et agiles. J'imagine leurs yeux embués de larme lorsque j'apparais sur le screen de tous leurs fantasmes. Je leur parle, la gorge nouée d'émotions : Queridos ! Vous êtes des soldats en guerre contre la nature et contre la bêtise des propriétaires de la mine. Tout le monde vous soutient. Votre moral est plus important que tout le reste. Je voudrais vous chanter quelque chose. J'avais en effet demandé à un violoniste et un pianiste de m'accompagner. La scène était surréelle, une espèce d'Arizona dreams impérial. Mais je ne savais pas quoi chanter... My heart belongs to daddy, de Marylin ? I'm a slave for you, de Britney Spears ? J'hésitais, ils attendaient... Finalement, j'ai privilégié le glamour classieux. J'allais leur chanter du Barbara. Je chante Barbara pour mes soldats du noir : Voilà combien de jours/ voilà combien de nuits/ Voilà combien de temps que tu es reparti/ Tu m'as dit cette fois, c'est le dernier voyage/ Pour nos cœurs déchirés, c'est le dernier naufrage/ Au printemps, tu verras, je serai de retour/ Le printemps, c'est joli pour se parler d'amour/ Nous irons voir ensemble les jardins refleuris/ Et déambulerons dans les rues de Paris/ Dis, quand reviendras-tu ?/ Dis, au moins le sais-tu/ Que tout le temps qui passe/ Ne se rattrape guère/ Que tout le temps perdu/ Ne se rattrape plus... J'ai même essayé une traduction simultanée en espagnol. J'ai même pleuré pour eux, avec eux, mes loulous, miam-miam.

 

margueritek@live.com

Je répétai leurs noms dans mon demi-sommeil. Leurs 33 noms. Sans discontinuer, comme un disque rayé. Florencio. Carlos. Victor. Edison. Franklin. Ariel. Luis. Alex. José. Dario. Yonni. Jorge. Raul. Et tous les autres. Mes loulous. Mes pauvres loulous coincés depuis le 5 août à 700 mètres de profondeur dans une mine. Dans le désert...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut