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Nos Lecteurs ont la Parole

L’enlisement

Par Mario B. HELOU
Le Liban est devenu un pays où ne naissent que des cauchemars. En marge de sa situation économique chancelante le citoyen est acculé à vivre dans une précarité constante et un profond sentiment de frustration. La menace permanente d'une guerre qu'on fait planer sur sa tête contribue à assombrir davantage son horizon. La corruption fonctionne sans coup férir, érigée en système qui s'exerce verticalement et impunément au bénéfice d'une petite minorité qui détient le monopole de toutes les ressources de l'État. Ce phénomène, devenu un syndrome ayant atteint toutes les couches de notre société, puise sa force dans le mercantilisme viscéralement ancré dans la mentalité de beaucoup de ceux qui ont eu la chance de se tailler une place au « paradis » du pouvoir. Il est évident que quand la corruption se pratique à ce niveau, les pots-de-vin deviennent pratique courante, les comptes en banque se gonflent, et le sens de l'éthique finit par céder devant les tentations de l'argent. L'enrichissement illicite se convertit en « succès personnel » qui catapulte ses auteurs aux niveaux les plus élevés de l'échelle nationale sans aucune crainte d'une justice dont la crédibilité est mise à rude épreuve. Sur le plan politique, les tiraillements qui se poursuivent au même rythme entre les groupes en présence constituent la pierre d'achoppement sur laquelle bute tout projet de réforme permettant au citoyen de se sentir protégé par l'État contre les excès de la bureaucratie.
Nous avons au Liban plusieurs « styles » de corruption, le plus notoire étant la « corruption importée » à travers laquelle le bénéficiaire, moyennant de coquettes sommes qui lui sont versées par des organisations ou des pays étrangers, prend à sa charge des engagements incompatibles avec l'intérêt national. Cette catégorie c'est celle des « agents de classe » dépourvus de toute moralité, qui se font acheter sans faire de manières, sans complexes, plus connus comme étant « les intouchables ». Cette catégorie inclut certains cercles politiques qui ont fait leurs preuves durant et après la guerre, et qui continuent à avoir droit à tous les honneurs de la société tout en profitant de leur influence pour mener à bien leurs affaires. Cette catégorie s'est assignée l'ingrate mission de s'opposer à tout projet de redressement économique sous divers prétextes et par tous les moyens mis à sa disposition par le truchement de « l'establishment » politico-médiatique, afin d'inverser le cours du temps, s'opposer au progrès et réduire le pays à l'état de dictature médiévale.
Dans les méandres de cette situation inextricable, c'est la bourse de ce bon petit citoyen privé de ses droits les plus élémentaires (eau, électricité, hospitalisation, etc.) qui demeure la cible préférée d'un État à la recherche de fonds pour renflouer ses caisses vidées par ceux-là mêmes qui crient ô voleur ! et qui, paradoxalement, sont chargés de veiller à la bonne gestion des fonds publics.
La corruption ne se limite pas seulement aux détournements et dilapidation de fonds publics. Elle s'étend aussi à d'autres secteurs, qui servent de tremplin à des transactions qui touchent à la santé même du citoyen telles que l'importation et l'introduction de médicaments dont les dates d'expiration ont été falsifiées, ou encore de produits alimentaires avariés proposés à la consommation. Tout cela sans oublier le fléau de la drogue propagée au sein de la jeunesse et distribué par des « dealers » qui opèrent en toute liberté dans les écoles, universités, pubs, etc. sans aucune crainte d'être inquiétés.
Ne croyant plus aux promesses mirobolantes d'une caste politique qui ne représente plus qu'une couche brillante de vernis cachant des structures archaïques, féodales, confessionnelles, ainsi que d'intolérables attachements à un système de gouvernance oligarchique et corrompu, le citoyen ne trouve plus devant lui, malheureusement, que le chemin de l'émigration.
Comment envisage-t-on de freiner l'émigration de nos jeunes alors que le fossé séparant les différentes classes sociales ne cesse de s'approfondir, les riches devenant plus riches et les pauvres plus pauvres ? La misère s'étale à côté du luxe le plus criard. Les dettes, poursuivant inexorablement leur pente ascendante, s'abattent sur les contribuables, pris dans le collimateur de l'État. On ne rencontre dans la rue que des visages tourmentés, des regards inquiets. Absence d'administration, un gouvernement inefficace, incapable de s'entendre sur les moyens à mettre en œuvre pour sortir le pays des marécages dans lesquels il est pris, des clans qui s'affrontent, un trafic d'influence servant à couvrir le « easy money  »,etc. Le citoyen désemparé, démuni, observe ce tableau avec des yeux de lapin sur le point d'être avalé par un cobra. La pourriture a atteint un tel degré qu'il n'est plus possible d'y remédier sans en extirper les tenants. Mission impossible à réaliser. En comparaison, la démolition de la muraille de Chine apparaît comme une promenade de santé.

Mario B. HELOU
Ancien attaché d'ambassade
Le Liban est devenu un pays où ne naissent que des cauchemars. En marge de sa situation économique chancelante le citoyen est acculé à vivre dans une précarité constante et un profond sentiment de frustration. La menace permanente d'une guerre qu'on fait planer sur sa tête contribue à assombrir davantage son horizon. La corruption fonctionne...

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