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Culture - En librairie

« Pluie de juin », de Jabbour Douaihy, ou l’autopsie d’un massacre fondateur

Pour savoir quand, comment, pourquoi et par qui son père a été tué, Elya Kfoury tente de rassembler, une vingtaine d'années plus tard, les morceaux d'un puzzle qui ne cessent de se dérober.

Jabbour Douaihy dissèque minutieusement la réalité libanaise.   (DR)

Longtemps, la guerre civile libanaise fut appelée «les événements». De nombreuses personnes et publications s'y réfèrent toujours ainsi, d'ailleurs. Pluie de juin* (Actes Sud, traduit de l'arabe par Houda Ayoub et Hélène Boisson) nous ramène vers un de ces premiers événements, un des nombreux massacres fondateurs de la guerre libanaise. Ce roman nous parle en effet d'un temps que les moins de soixante ans ne peuvent pas connaître.
Un temps où chaque mort en ramenait deux. Puis quatre. Puis vingt. Un temps où les lignes de démarcation, mentales aussi bien que psychologiques, n'en finissaient pas de se dessiner... Un temps que Jabbour Douaihy a longtemps ausculté. Car l'auteur, originaire de Zghorta, s'est inspiré d'un massacre qui a eu lieu en 1957 dans une église de Meziara. Un massacre fondateur, en quelque sorte. Un massacre en forme de portrait robot de la guerre à venir. De toutes les petites guerres qui ont sévi sur la totalité du territoire
libanais.
Douaihy revient donc vers une première «hâditha», un premier événement qui, comme tant d'autres par la suite, a ouvert la voie aux affrontements collectifs. «Hâditha», précise l'auteur, en estimant que ce terme féminin a constitué «une façon particulièrement précautionneuse et consensuelle de désigner une tuerie ou une bataille dont on ne voulait pas faire porter la responsabilité à un seul des deux partis, comme cela aurait été le cas avec le terme majzara (boucherie) ou kamin (embuscade tendue)».
Adoptant un ton où le grave et le tragique l'emportent sur la dérision dont il a trempé les pages de Rose Fountain Motel, Douaihy raconte les histoires de ces villageois par petites bribes. Distillant les informations par petites touches. Elya interroge les survivants. Chacun lui raconte sa version des faits. Une version qui ne corrobore pas nécessairement celle des autres. Même celle de sa mère, la redoutable Nehmé, reste assez obscure et incomplète pour ce fils qui a vécu les trois quarts de sa vie en exil aux States. De par sa position d'enquêteur, concerné mais pas vraiment impliqué, Elya explore les mécanismes de rivalités qui tiraillent ce peuple, ce pays, où les allégeances se font au nom du clan, de la famille ou de la communauté religieuse.
À Bourj el-Hawa, les secrets ont la dent dure. Les zones grises également. Ces zones où les non-dits cachent la moitié de la vérité. Mais cette vérité là n'est-elle pas finalement un concept trop usurpé? Si les «événements» nous ont appris une chose, c'est bien que souvent, ce sont les stéréotypes sociaux qui écrivent l'histoire. Ou plutôt les histoires.

* En 2008, « Matar huzayran », Dar an-Nahar, figurait parmi les six finalistes du Booker arabe.
Longtemps, la guerre civile libanaise fut appelée «les événements». De nombreuses personnes et publications s'y réfèrent toujours ainsi, d'ailleurs. Pluie de juin* (Actes Sud, traduit de l'arabe par Houda Ayoub et Hélène Boisson) nous ramène vers un de ces premiers événements, un des nombreux massacres fondateurs de...

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