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Malgré la loi, les « produits guérisseurs » étalent toujours leurs miracles sur les antennes - Droits du consommateur

Malgré la loi, les « produits guérisseurs » étalent toujours leurs miracles sur les antennes

En dépit d'une loi interdisant explicitement la publicité sous toutes ses formes sur les herbes médicinales et des produits à caractère thérapeutique, certains médias ne se sont pas encore conformés à la loi. Ce qui pousse à s'interroger sur les raisons pour lesquelles l'État reste timoré envers ces maîtres de la médecine des plantes, qui enfreignent sans aucun scrupule toutes les lois de l'éthique et de la déontologie professionnelle, abreuvant les gens de mensonges et mettant potentiellement leur vie en danger.

Toutes les plantes ne sont pas nécessairement bénéfiques pour l’homme. Le Spartium junceum ou le genêt d’Espagne, appelé « Lisan al-asfour » ou « Wazzal », est en effet très toxique, selon la science et plusieurs pharmacopées dans le monde. Photo Marc Beyrouthy

À longueur de journée, des spots télévisés racontent les exploits d'un homme qui se dit « spécialiste des plantes » escaladant le sommet des montagnes les plus vertigineuses et plongeant dans les profondeurs de l'océan pour cueillir la plante médicinale susceptible de guérir tous les maux. Ce même spécialiste occupe aussi l'antenne des heures durant pour décrire les bienfaits de ses produits miracles qui traitent plus d'une maladie, auxquelles la médecine traditionnelle et les instituts internationaux de recherches n'ont pas encore trouvé des remèdes, mais qu'ils ont modestement réussi à stabiliser, assurant une meilleure qualité de vie au patient, le diabète à titre d'exemple. Sur une autre chaîne, un autre pape de la médecine des plantes s'étale sur ses produits tout aussi miraculeux qui couvrent un grand éventail de troubles et maladies. Les panneaux publicitaires sont aussi légion. Sans oublier, bien évidemment, les programmes à la radio.
Bref, ces mentors de la médecine par les plantes envahissent le quotidien de millions de Libanais et d'Arabes, proposant à qui veut entendre et acheter - ils ne sont que trop nombreux - des produits « naturels » pour tous les maux. Une même pilule agirait ainsi aussi bien sur l'hypertension que l'hypotension - elle semble être munie d'un autorégulateur qui agirait selon les cas ! -, selon les observations d'experts, une autre traiterait à la fois le diabète, l'hypertension et l'excès de cholestérol, protégeant ainsi le consommateur des risques d'intervention chirurgicale à cœur ouvert. Un éventail de produits amincissants est aussi proposé, ainsi que des flacons pour soigner la dysfonction érectile ou encore cette mixture qui à la fois régule le cycle menstruel, lutte contre les problèmes de la prostate, l'anémie, les troubles digestifs, la calvitie et l'infertilité chez la femme ! Une nouveauté a été introduite cette année, les produits de beauté et les crèmes solaires.
Face à cette « mascarade » - de l'aveu de plusieurs spécialistes de la santé - qui dure depuis des années, le président de la commission parlementaire de la Santé, Atef Majdalani, « ayant constaté ces publicités mensongères et trompeuses ainsi que leurs effets néfastes sur la santé des gens et ayant trouvé une faille dans le code de déontologie des pharmaciens », a présenté le 11 septembre 2008 une proposition pour amender l'article 37 de ce code. La loi qui porte le numéro 90 a été ainsi promulguée le 6 mars 2010 et publiée dans le Journal officiel le 11 mars 2010. « Cette loi stipule que l'industrialisation, la commercialisation, l'exportation et la prescription des herbes médicinales à caractère thérapeutique est du seul ressort des pharmaciens, explique à L'Orient-Le Jour le Dr Majdalani. Le produit prescrit devrait auparavant être enregistré auprès d'un comité technique au ministère de la Santé. Cette loi interdit par ailleurs l'information et la publicité au sujet des herbes médicinales et autres produits à caractère thérapeutique dans les télévisions, les radios et la presse écrite. »
La loi, qui remonte à quatre mois, n'est toutefois pas encore appliquée par l'ensemble des médias, nos spécialistes autoproclamés poursuivant allègrement leurs programmes sur plusieurs chaînes télévisées. En fait, ce n'est que le 30 juin que le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a notifié les télévisions et les radios de « la nécessité de se conformer immédiatement à la loi ». De son côté, la Sûreté générale a attendu le 5 juillet, soit quatre mois après la promulgation de la loi, pour publier un communiqué invitant les médias à arrêter immédiatement ces programmes. Seules Télé-Liban, la Future TV et Radio Orient se sont conformées à l'injonction et ont notifié la semaine dernière le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) de leur décision d'interrompre lesdits programmes.

Pouvoir de l'argent ?
Pourquoi cette timidité dans l'application de la loi ? « Je dirais en raison principalement du nombre des parties responsables de son application et de la mauvaise coordination entre elles », répond le Dr Majdalani, qui affirme vouloir être optimiste et faire confiance, par conséquent, à « la bonne intention » des différentes personnes concernées, « bien que je sente que certaines d'entre elles ne veulent pas l'appliquer ». « Si, dans les trois semaines qui suivent, la situation n'est pas réglée, je tiendrai une conférence de presse pour donner mon avis sur la question. »
Et le Dr Majdalani de préciser : « Je ne suis pas contre les produits à base d'herbes, à condition qu'ils soient inscrits au ministère de la Santé sur base d'un dossier scientifique clair et de recherches cliniques. Je ne peux pas toutefois accepter les publicités sur des produits à caractère thérapeutique, ce qui est d'ailleurs interdit par la loi, ni les publicités mensongères. C'est de la triche. Le médicament ne peut être vendu que dans les pharmacies. »
Or les produits dont ces individus font la promotion dans le cadre de leurs programmes télévisés, et qui sont vendus dans des centaines de magasins au Liban qui portent le nom de leurs promoteurs ou en ligne, « ne sont basés sur aucune science », affirment les spécialistes du domaine médical. D'ailleurs, le ministre de la Santé, Mohammad Khalifé, a déjà retiré il y a deux ans la licence qui était accordée à deux de ces pseudo-spécialistes. Récemment, il a même retiré la licence accordée à une usine appartenant à l'un d'eux. Mais ce dernier, faisant fi de la décision ministérielle, poursuit son activité.
Une réalité qui pousse à s'interroger sur les raisons pour lesquelles ces experts... en herbe sont intouchables. Certaines sources du milieu médiatique ayant réclamé l'anonymat pointent du doigt le pouvoir de l'argent. Elles expliquent ainsi que chacun de ces experts consacre des budgets à sept, voire huit chiffres rien que pour la publicité. On raconte même qu'une chaîne télévisée recevrait la somme croquignolette d'un million ou d'un million et demi de dollars par an, pour les prévoir sur leur grille.
Quelles seraient les prérogatives des ministères de la Santé et de l'Information dans ce cadre ? Pour la deuxième fois que nous traitons ce dossier épineux en deux ans, nous n'avons pas pu rencontrer les ministres concernés. Le ministre de l'Information, Tarek Mitri, nous a promis de nous accorder une interview, mais nous attendons toujours qu'il nous fixe un rendez-vous. Quant au ministre de la Santé, Mohammad Khalifé, il est injoignable.
À longueur de journée, des spots télévisés racontent les exploits d'un homme qui se dit « spécialiste des plantes » escaladant le sommet des montagnes les plus vertigineuses et plongeant dans les profondeurs de l'océan pour cueillir la plante médicinale susceptible de guérir tous les maux. Ce même...