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Lifestyle - Insolite

Alphonse, des chemises sur mesure

C'est avec un simple prénom, qui a quelque chose de presque aristocratique, et un coup de ciseau précis et artistique qu'Alphonse s'est fait connaître. De fil en aiguille, ses chemisiers lui ont taillé une place privilégiée qu'il conserve, en travaillant dur et méticuleusement, depuis un demi-siècle.

Alphonse travaillant sur une antique machine.Photo Zawkan el-Jurdi

Sur sa carte de visite, un prénom: Alphonse. Sur les étiquettes qu'il fixe aux cols intérieurs de ses chemises, comme un label de qualité déposé, une seconde carte de visite, on peut encore lire, tel qu'en 1962: Alphonse, 352784, Hamra - Beyrouth. Et dans le regard d'Alphonse, toute la nostalgie du Hamra «d'hier»... Celle des Horseshoe, des Café de Paris et autres cafés-trottoirs, de grands cinémas, de belles enseignes et des soirées glorieuses en compagnie d'étrangers et de gens «de la haute société»...
C'est dans cette rue mythique, et plus particulièrement à Wardieh, que Alphonse Jammal a grandi. Né à Haïfa, son père l'a baptisé ainsi en hommage «au père Alphonse qui enseignait dans une école adjacente à la boutique familiale». Au cours de l'été 1948, les vacances passées à Bickfaya se transforment en exil forcé et définitif. La famille s'installe au Liban et tente de se construire une vie. Le père d'Alphonse, grand commerçant, ouvre une boutique de «nouveautés» avec pignon sur la rue Bliss. Tout reste à faire. La carrière et les bonheurs surtout.

Autodidacte
L'enfance d'Alphonse s'est déroulée modestement auprès de ses 6 frères et sœurs dans les écoles de son quartier, les ruelles, les impasses. À l'ombre des arbres aujourd'hui disparus, comme une illusion d'optique, des vieilles bâtisses, rêves de jours passés qui furent certainement meilleurs.
«J'ai quitté l'école avant mon baccalauréat, raconte monsieur Alphonse, le chemisier impeccable. Pas un faux pli, pas une erreur de fabrication, le col droit, le tissu noble et... les initiales cousues à la poche, le gentleman fait partie du club fermé, un peu vieille école, des couturiers beyrouthins, artistes et artisans, qui continuent de travailler en toute discrétion et élégance. Mahmoud Chéhab, le couturier du coin, lui apprend la manière de travailler. L'art viendra plus tard, avec le temps, les journées de labeur sans fin, les inspirations venues d'Europe et une clientèle de plus en plus pointue.
«Je voulais absolument m'installer à Hamra, se souvient-il. C'est là que tout se passait.» De longues recherches plus tard, le jeune homme tombe sur un local de 32 m2, rue Mahatma Gandhi. Avec des tissus achetés au poids à Souk el-Ou'iyeh, «de chez les plus grands importateurs», rajoute-t-il fièrement, il se lance dans la fabrication de chemises.
Certaines se font sur mesure, d'autres sont placées pour être revendues dans la boutique paternelle. Peu à peu, Alphonse introduit sa propre méthode de travail, «the Italian way», précise-t-il, qu'il adresse à une clientèle principalement constituée de banquiers, d'avocats et de médecins, et qu'il vend à 5 livres libanaises «alors que les chemises importées, de qualité égale, se vendaient à 15!» Le secret de sa réussite? «Commencer très tôt, à 6 heures, et finir très tard, après 22 heures. Faire plus d'efforts pour, sans cesse, s'améliorer. J'ai grandi comme ça...»
La guerre de 1975 et des 15 années maudites sonne le glas du bonheur. «Elle a tout gâché.» Entre les couloirs de sa maison transformés en atelier de fortune et les abris, entre les cessez-le-feu et les reprises des hostilités, «j'ai dû batailler dur pour garder le métier et maintenir le niveau». Les années passant, Alphonse demeure le spécialiste de la chemise. Aucun changement, sinon celui du décor. Comme de triste usage, l'immeuble, qui va être détruit incessamment, est vidé de son âme et de ses âmes. Alphonse, ses chemises, ses tissus, ses fils, ses boutons, ses vieilles machines des années 50, son fer à repasser et ses souvenirs déménagent un peu plus loin, rue Sadate. Assisté par Nabil qu'il a lui-même formé, semant en lui la graine de l'artisan, il supervise les travaux, finalise, approuve. «Un essayage suffit, affirme le maître. Nous sommes en mesure de fabriquer dix chemises par jour. Au quart du prix d'une chemise "signée", nous offrons la même qualité.»
Oui, mais celle-ci est signée Alphonse de Beyrouth.
Sur sa carte de visite, un prénom: Alphonse. Sur les étiquettes qu'il fixe aux cols intérieurs de ses chemises, comme un label de qualité déposé, une seconde carte de visite, on peut encore lire, tel qu'en 1962: Alphonse, 352784, Hamra - Beyrouth. Et dans le regard d'Alphonse, toute la nostalgie du Hamra «d'hier»... Celle des...

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