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I – Assailli par les demandes, le bio se débat avec ses problèmes - Alimentation

I – Assailli par les demandes, le bio se débat avec ses problèmes

De récents scandales alimentaires ont fait exploser les ventes de produits biologiques au Liban. Mais le secteur était-il assez préparé pour accueillir une nouvelle clientèle affolée et soucieuse de sa santé ?

La boutique de « Healthy Basket » qui, comme tout le secteur, a connu une augmentation remarquable de ses ventes ces derniers mois.

Une anecdote racontée par une agricultrice active dans le domaine du bio résume très bien le tragicomique de la situation au Liban : ayant, un jour, remarqué qu'un agriculteur conventionnel (qui utilise des pesticides à outrance comme il est d'usage) cultivait les tomates réservées à sa famille dans un terrain séparé des tomates destinées au commerce, elle lui fait part de son étonnement. « Vous ne voulez pas que je donne celles-ci à manger à ma famille, non ? » lui répond-il.
Cet agriculteur sait ce qu'il y a dans les tomates qu'il produit, il refuse d'en manger mais, il sacrifie à la logique de la surproduction. D'autres sont tout simplement ignorants des réelles conséquences, pour eux comme pour les autres, des produits qu'ils emploient. Pour leur part, les producteurs de produits biologiques au Liban, comme de produits dits « naturels » (ne pas confondre les deux notions, voir encadré) ont reçu, récemment, l'aide d'un allié improbable, celui représenté par les révélations concernant le taux de résidus de pesticides contenus dans les fruits et légumes issus de l'agriculture conventionnelle au Liban, secteur où le chaos reste le maître mot, même s'il convient de ne pas généraliser. De récentes études, dont une effectuée au ministère de l'Environnement, sont venues mettre le doigt sur la plaie, et les médias s'en sont mêlés pour mousser l'affaire.
Certes, l'agriculture biologique ne peut être considérée comme une alternative viable et totale à l'agriculture conventionnelle qui doit, dans tous les cas, être soumise à des régulations plus strictes. Mais le bio attire aujourd'hui une clientèle de plus en plus nombreuse et diversifiée. Cela n'empêche pas le secteur de continuer à se débattre avec ses problèmes, surtout en l'absence d'une loi spécifique et d'un soutien officiel qui en est à ses premiers balbutiements. Pourtant, un projet de loi sur le bio existe bel et bien au ministère de l'Agriculture depuis 2003, et de nombreuses personnes interrogées croient aujourd'hui que son adoption serait imminente et que cette administration est sérieuse dans sa volonté de soutenir le secteur (d'autres mettent l'accent sur le retard de quelques années). Il nous a malheureusement été impossible de vérifier cela auprès du ministère, malgré les nombreuses tentatives de contact qui sont demeurées sans réponse.

Moins d'agriculteurs mais autant de superficie
Toutes les sources interrogées sur le secteur s'accordent à dire que le principe de l'agriculture biologique a été longtemps soutenu par de grandes ONG, souvent internationales, ce qui a eu pour avantage de sensibiliser les cultivateurs à ce domaine. Toutefois, quand certains programmes d'aide de grande envergure ont pris fin, plusieurs agriculteurs sont retournés à l'agriculture conventionnelle soit par incapacité de voler de leurs propres ailes, soit parce qu'ils n'avaient, à la base, adhéré au principe que par intérêt. Seuls les plus convaincus ont résisté, et d'autres viennent, depuis, étoffer leurs rangs. Ils ne sont pas légion aujourd'hui. Selon Khalil Haddad, directeur de Libancert, l'un des deux organismes de certification au Liban, le nombre d'agriculteurs de produits biologiques aurait baissé, passant de quelque 350 en 2009 à environ 255 en 2010. « Mais cela ne signifie pas nécessairement que la superficie plantée de produits bio a baissé puisque de plus grands producteurs ont intégré ce marché », ajoute-t-il.
Youssef Khoury, directeur du bureau de l'Institut méditerranéen de certification (IMC) au Liban, l'autre organisme de certification, pense que « l'arrivée sur le marché de plus grands producteurs permettra au secteur de repartir sur des bases plus solides ». Tout le monde n'est pas nécessairement de cet avis. Roula Farès, consultante et ancienne directrice de Libancert, tout en n'étant pas hostile aux grandes exploitations surtout si les portes de l'exportation leur sont ouvertes, pense que « le bio est surtout une affaire de petits producteurs, souvent des familles que cette perspective agricole plus intéressante aidera à rester ancrées dans leur village natal ». « Le bio ne doit pas être conçu comme une compétition avec l'agriculture dite conventionnelle, poursuit-elle. Il y a beaucoup trop de terrains non plantés dans nos régions. Pourquoi ne pas encourager les propriétaires à les cultiver au lieu de les vendre et développer le secteur du bio par la même occasion ? »

La loi, pour un meilleur développement
Comment développer le secteur du bio ? C'est la question que se posent les personnes concernées aujourd'hui, surtout dans un contexte où la demande a fortement progressé et où l'offre ne peut pas toujours suffire. Or il n'est pas toujours aisé de se convertir au bio certifié, comme l'attestent les nombreux problèmes qui demeurent et qui seront traités plus en détail dans le présent dossier : coût de production plus élevé, temps de récolte plus long, production moins massive, commercialisation plus problématique, manque de discernement au niveau du consommateur... Les avantages n'en existent pas moins puisque les produits bio ont nécessairement une plus-value par rapport à d'autres. Alors, quelle vision adopter pour développer le secteur ?
Sur ce point, chacun a son idée, même si tous s'accordent à dire que l'adoption d'une loi nationale est primordiale. « Nous avons tout pour développer un bon secteur d'agriculture organique : un bon climat, des différences d'altitude, de l'eau, du soleil..., déclare Rameh el-Chaër, propriétaire d'une grande ferme à Laqlouq. Mais il faut que l'État nous soutienne et applique plus fermement les lois, notamment pour l'importation de pesticides bio. »
« Pour moi, l'avenir est prometteur si les producteurs libanais respectent les normes, souligne Fadi Daou, agriculteur et industriel de produits bio. Mais le développement de la chaîne du bio, à mes yeux, n'a de sens que dans un cadre de commerce équitable, où les petits producteurs sont favorisés. » Joseph Massoud, propriétaire de l'exploitation biomass, pense qu'il faut convaincre les grands agriculteurs de se convertir et créer un calendrier agricole afin de diversifier la production.
La sensibilisation est essentielle, selon les personnes concernées. « Je crois que le plus important serait de trouver des fonds pour une campagne nationale visant d'une part à convaincre le consommateur et l'agriculteur conventionnel du bien-fondé du bio et, d'autre part, à montrer que la pollution généralisée dont souffre le pays serait grandement réduite s'il y avait moins de produits chimiques dans l'air, dans l'eau et dans le sol », estime Charbel Salamé, directeur actuel de Biocoop (coopérative d'agriculteurs bio).
Rania Touma, directrice de « Healthy Basket », le projet de l'AUB, pense que le secteur a de l'avenir « à condition que les producteurs libanais respectent les normes et se solidarisent entre eux pour l'intérêt général ». Enfin, Jihane Chahla, responsable du contrôle technique à « Souk el-Tayeb », évoque la nécessité d'une base de données claire pour mieux gérer le secteur.

Une anecdote racontée par une agricultrice active dans le domaine du bio résume très bien le tragicomique de la situation au Liban : ayant, un jour, remarqué qu'un agriculteur conventionnel (qui utilise des pesticides à outrance comme il est d'usage) cultivait les tomates réservées à sa famille dans un terrain...