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Moyen Orient et Monde - Le point

Le troisième homme

Les Britanniques ont une bien curieuse expression pour désigner une Assemblée ingouvernable, au sein de laquelle les deux grandes formations seraient à égalité de sièges : « A hung Parliament ». La terreur de voir se concrétiser un tel scénario n'a cessé de planer sur la campagne depuis la dissolution annoncée par Gordon Brown, après la décision de fixer au 6 mai prochain la date du scrutin. Elle est devenue réelle au lendemain du 15 avril. Ce qui s'est passé ce jour-là est « utterly unbelievable » : devant les caméras des chaînes de télévision qui couvraient le premier débat de la campagne, un homme a émergé soudain, qui n'était ni le Premier ministre en exercice ni son principal adversaire, le sémillant David Cameron, mais Nick Clegg, leader des libéraux-démocrates, presque inconnu jusque-là, devenu, par la grâce des « étranges lucarnes » et la force de son verbe, la « it person » comme on dit sur les bords de la Tamise. Le phénomène méritait d'être pointé du doigt, dans un pays où, depuis 1801-1802 (date de la première consultation générale), ce sont les programmes qui comptent et non pas les hommes.
Que disait donc ce soir-là l'outsider ? Il énonçait tout simplement, comme autant d'évidences, des phrases assassines qui sonnaient juste à l'oreille du citoyen, comme : « Nous n'avons pas eu de gouvernement depuis 1935 », ou encore « Plus ces deux-là se livrent à leurs joutes et plus nous avons l'impression qu'ils se ressemblent. » Du coup, sa cote de popularité atteint la cime himalayenne de 72 pour cent, quand ses adversaires se traînent à respectivement 19 et 18 pour cent, et de plus en plus nombreux sont ceux qui n'hésitent pas à le comparer à Winston Churchill ou, mieux encore, à Barack Obama, auteur du célébrissime « Change we can believe in ».
Pour autant, les Lib Dems devraient se garder de crier trop tôt victoire. Le second des trois débats télévisés est appelé à se tenir aujourd'hui, sur le terrain dangereusement miné de la politique étrangère, un sujet sur lequel ces incurables europhiles sont mal perçus par une population plutôt hostile à l'entrée dans la zone euro et favorable à la récupération de certains droits considérés comme importants et abandonnés au profit de Bruxelles. L'enjeu est de taille car un gain important de sièges permettrait au trouble-fête d'hier de jouer demain le rôle de faiseur de rois, ce qui reviendrait à pronostiquer dès à présent - connaissant ses affinités politiques - un apport permettant au Labour de s'assurer d'une majorité de 326 voix lui garantissant son maintien au 10 Downing Street, une adresse qu'il a faite sienne depuis treize ans. Prédiction cinglante de Cameron dans une interview au Guardian : « Votez pour n'importe-qui-sauf-les-Tories reviendrait à se retrouver avec ce que nous avons maintenant. » Lui faisant écho, le Daily Telegraph a cette formule à l'emporte-pièce : « Votez Churchill, élisez Staline. » Un peu fort, mais c'est dire combien l'âpreté du débat cache mal l'importance de l'enjeu pour les protagonistes.
La bataille est sortie des rails traditionnels quand la presse a levé le lièvre des petits cadeaux que s'octroyaient certains MPs, puisant pour cela dans les deniers publics. Chaque parlementaire, prévoient les règlements, a droit à une « note de frais » de 23 000 livres sterling et peut réclamer le remboursement de notes de frais mensuels de 400 livres sans présentation de justificatifs. On se souvient encore des multiples abus commis à ce titre : factures de téléphone, cartes de crédit, travaux de réfection d'habitations,etc. Il y eut aussi le cas d'un député conservateur, Derek Conway, qui avait versé à son fils, alors étudiant, 40 000 livres pour des recherches qui n'ont jamais été effectuées. Ou encore ces prêts avancés « à quatre cinquièmes des membres des Communes » pour l'achat d'une maison, revendue par la suite, le parlementaire empochant sans aucun problème de conscience le montant de la plus-value.
De telles pratiques, révélées au plus fort d'une crise dont le pays continue de subir le contrecoup, ont eu un effet désastreux sur l'image des travaillistes et des conservateurs, perçus comme de vulgaires pique-assiette, insensibles de plus aux souffrances de leurs concitoyens. Il ne reste plus à Clegg qu'à rappeler la position de sa formation sur l'engagement en Irak, contre lequel il s'était prononcé dès les tout premiers instants, quand Tony Blair et ses lieutenants faisaient assaut de surenchères mensongères sur la question des armes de destruction massive. Le qualificatif le plus souvent accolé à son nom est désormais celui d'« honnête ». Aussi rarissime que décisif dans l'univers glauque de la politique.
Les Britanniques ont une bien curieuse expression pour désigner une Assemblée ingouvernable, au sein de laquelle les deux grandes formations seraient à égalité de sièges : « A hung Parliament ». La terreur de voir se concrétiser un tel scénario n'a cessé de planer sur la campagne depuis la...

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