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Santé

La crise du don d’organes

Par Miran EPSTEIN

Miran Epstein est chargé de cours en déontologie et lois médicales à la Barts and The London School of Medicine and Dentistry, Queen Mary College, de l’Université de Londres.

La transplantation d'organes est l'une des plus remarquables prouesses de la médecine moderne. Elle a redonné espoir à des millions de patients souffrant d'une défaillance auparavant fatale d'un organe. Pour beaucoup, elle a signifié une vie plus longue et meilleure.
La transplantation d'organes a également profité à de nombreux spécialistes et à des industries, en devenant une nouvelle source de fierté, de financement et de profits. Dans la perspective de limiter les coûts, elle a également bénéficié aux caisses maladie : une greffe de rein est par exemple moins coûteuse qu'une dialyse.
Et pourtant, la médecine de transplantation a, dès ses débuts, dû faire face à un déséquilibre croissant entre l'offre et la demande d'organes. Pour les parties intéressées, les conséquences souvent terribles de cette pénurie ont donné lieu à tout un éventail de solutions, basées sur une seule stratégie : s'il y a une pénurie d'organes, il faut trouver les moyens d'en obtenir.
Cette stratégie a toutefois un prix élevé. D'un côté, elle a entraîné des pratiques particulièrement immorales, tels le trafic d'organes, le tourisme de transplantation et autres manifestations du marché noir d'organes. D'un autre côté, elle a exercé des pressions considérables sur la déontologie de la transplantation.
En fait, la déontologie de la transplantation a été sur une pente savonneuse dès les débuts des greffes d'organes. La stratégie visant à augmenter l'offre d'organes a repoussé et continue à repousser la limite éthique vers des territoires auparavant considérés comme immoraux.
Pour compenser une offre insuffisante de la part de personnes décédées, nous avons tout d'abord adopté une définition de la mort de plus en plus vaste, ou du moins flexible, ce qui a souvent provoqué des soupçons quant aux motivations des médecins prononçant le décès d'un donneur potentiel.
Nous avons ensuite inventé la dispense d'obtention du consentement explicite. Cette disposition, qui permet la collecte d'organes de personnes qui refusent de faire don de leurs organes, mais n'ont pas exprimé ce refus formellement, n'a pas non plus contribué à accroître la confiance envers les médecins.
Avec l'aggravation de la pénurie d'organes, nous avons autorisé le don de la part de personnes vivantes. Ce pas était particulièrement audacieux en ce sens qu'il contrevient au serment d'Hippocrate qui enjoint de préserver la santé dans tous ses éléments.
Dans cette catégorie, nous n'avons dans un premier temps autorisé que les dons dirigés à un membre de la famille, pour ensuite l'élargir aux dons non dirigés par des tiers anonymes. Nous avons pensé que les liens familiaux et le don altruiste empêcheraient la coercition et le commerce d'organes. Mais les mécanismes destinés à confirmer cette hypothèse étaient particulièrement accommodants. Ils n'empêchaient pas certaines formes de coercition d'interférer avec le consentement du donneur ni n'étaient trop regardant quant aux liens commerciaux clandestins.
À ce stade, il était manifeste que le commerce d'organes se développait rapidement et que les personnes à la recherche d'une transplantation, ou d'argent, se tourneraient de plus en plus vers le marché noir ou tenteraient de trouver une faille juridique qui leur permettrait de dissimuler une transaction commerciale derrière un geste légitime. Jusqu'à récemment, aucune démarche importante n'a été entreprise pour lutter contre le marché noir (la Déclaration d'Istanbul marque le début d'une lutte déterminée contre ce marché), mais les dons altruistes dirigés par des tiers anonymes vivants ont été interdits de peur qu'ils ne deviennent précisément cette faille juridique.
Cette crainte n'a pas duré longtemps. La demande croissante d'organes a entraîné la légalisation de cette catégorie également, une mesure qui a permis d'augmenter l'offre, mais toujours en quantité insuffisante.
Aujourd'hui, nous envisageons d'adopter des incitations à la limite d'une transaction commerciale au don d'organes, à la fois pour les donneurs décédés et vivants. La nouvelle loi israélienne sur les transplantations prévoit par exemple de donner la priorité sur les listes d'attente pour une transplantation aux personnes et à leur famille qui souscrivent à une carte de donneur. Cette incitation matérielle contrevient clairement au principe selon lequel un organe ne peut être attribué qu'en fonction du besoin. Elle risque aussi d'établir une discrimination contre les personnes qui ne sont pas au courant de la carte de donneur ou qui refusent ce système pour des raisons religieuses ou par manque de confiance dans les autorités médicales.
Cette loi interdit expressément le commerce d'organes, mais établit un montant fixe des dommages et intérêts versés à un donneur vivant. De plus, le Centre national de transplantations et de don d'organes d'Israël encourage ouvertement les donneurs, les compagnies d'assurances et l'organisme des cartes de donneur à verser des compensations aux familles qui acceptent de donner les organes de parents décédés. Ces mesures, qui peuvent être qualifiées d'incitations commerciales parrainées par le gouvernement, sont considérées comme inacceptables par toutes les déclarations internationales relatives à cette question.
Si cette tendance se poursuit, les solutions de fortune ne suffiront plus. En fait, les partisans d'un marché réglementé des organes, une idée qui gagne du terrain, estiment que c'est la seule solution. Et c'est peut-être le cas. Mais évitons à tout prix de nous engager dans cette voie ! Parce que même si nous pensons que les vendeurs et acheteurs d'organes sont parties d'une transaction sur la base d'un libre choix, aucune des deux n'a choisi d'avoir à confronter le dilemme sous-jacent.
Les deux parties sont des victimes. L'acheteur est victime de la morbidité et d'une solidarité sociale défaillante, et le vendeur est victime de la pauvreté et d'autres formes de difficulté financière. Un marché réglementé ne fera rien pour résoudre ces états créés par l'homme. Au contraire, il les soulignera plus qu'aucune autre solution éthique auparavant.
Plusieurs des crises sociales auxquelles nous sommes aujourd'hui confrontés sont uniquement des symptômes. Et pourtant les causes sous-jacentes doivent également être résolues si nous voulons mener le genre de vie auquel nous aspirons. La crise des dons d'organes n'est pas différente. Au lieu de médicaliser et de faire un débat d'éthique de cette question, commençons par drainer le marais. La transplantation, comme les produits antimoustiques, doit être utilisée avec parcimonie et seulement quand il n'y a pas le choix.

© Project Syndicate. Traduit de l'anglais par Julia Gallin.
La transplantation d'organes est l'une des plus remarquables prouesses de la médecine moderne. Elle a redonné espoir à des millions de patients souffrant d'une défaillance auparavant fatale d'un organe. Pour beaucoup, elle a signifié une vie plus longue et meilleure.La transplantation d'organes a également profité à de nombreux...

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