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Lifestyle - Hotte d’or

Dans la maison vide

Personne ne m'attendait à l'Aéroport international Rafic Hariri. Personne à mon arrivée de Paris où j'ai passé quelques jours dans une espèce de sas d'autoprotection et de régénération que je m'étais fabriqué après ma semaine au Japon, après ma fusion-acquisition de l'épiderme et du sourire et du sexe et des yeux et des mains du jeune Etsuya. Personne, une orchidée mauve à la main, pour me souhaiter la bienvenue. Personne, non plus, pour ramener mes nouvelles malles Hermès, à part un porteur adolescent tétanisé par ma salopette slim übercuir portée à même la peau sous une miniveste en jean Isabelle Marant. Personne chez moi : mon loft, comme ma vie, était atrocement vide - je n'avais pas prévenu de mon arrivée à Beyrouth, mais tout de même... J'ai donné quelques dollars au chauffeur de taxi qui a monté mes bagages ; l'odeur tellement familière que j'ai l'impression que nous sommes nées ensemble, celle du musc blanc, suintait des meubles et des murs sans me rassurer pour autant, et je l'ai tout de suite vue : dans la corbeille bleue Fratelli Campana pour Alessi où j'exige d'habitude que ne s'égarent qu'une ou trois roses jaunes séchées, il n'y avait plus qu'une enveloppe et une clef de voiture. Je souriais mais mon cœur battait, je reconnaissais d'avance l'écriture pataude et un peu trop appliquée de Houssam, qui n'a pas cherché à me joindre depuis plus de vingt jours, depuis la parution dans L'Orient-Le Jour de ma comptine Queues du bonheur. Le message n'était pas bien long. Je ne sais pas quand tu liras ma lettre Marguerite, OK, mais essaie de ne pas avoir tes réactions de diva hystérique. Je suis parti, OK ? Tu ne me reverras plus, plus jamais, OK ? J'ai appris par ton journal que tu es tombée amoureuse de ton jaune, OK, tu te prends vraiment pour Angelina Jolie ou Elizabeth Taylor ? Tu me prends vraiment pour le dernier des cons, OK ? Je te souhaite une bonne vie Marguerite, OK, n'essaie même pas de m'appeler, même si tu as réglé ton problème de choc de cultures de débile, khalas OK, oublie-moi à jamais. Mon sourire, comme cette marée haute dans ma cage thoracique étaient toujours là. Oh, Houssam... Cet enfant de Tarik Jdidé qui vit à mes côtés depuis deux ans en s'occupant de moi comme personne avant lui, cet ours mal léché capable d'assommer un buffle rien qu'avec une chiquenaude, ce champion de football d'à peine 20 ans dont chaque biceps fait quatre fois ma cuisse n'est pas seulement un épistolaire médiocre, mais aussi, en réalité, une drama queen totale. Certes, je l'ai trompé avec Etsuya, mais en ne cachant rien, en ne mentant pas, en lui faisant comprendre entre les lignes que c'était lui finalement qui allait manœuvrer un jour, dans des dizaines d'années, mon fauteuil roulant de vieillarde chenue. J'étais en colère, mais quelque chose l'éteignait, cette colère, à peine manifestait-elle une toute petite velléité d'exploser - je n'ai pas touché à la bouteille de Veuve Clicquot rosé que je venais d'ouvrir pour essayer, justement, de la noyer, ma colère finalement très bâtarde, mon estomac me disait que quelque chose venait de se briser, de disparaître, j'ai pris mon téléphone pour l'appeler, une voix robotisée m'a appris que le numéro n'est plus attribué, j'ai laissé sonner chez sa mère, elle m'a raccroché au nez à peine prononcé mon Bonjour, c'est Margot, je pense bien que je suis devenue une pestiférée. Je tourne en rond. Honnêtement, je suis un peu soulagée, cela est acquis, une page, toujours, doit être tournée, une parenthèse, toujours, refermée, mais je pleurerai bien un bon coup, j'irai d'un pas rapide me cacher dans les Carpates, je me ferai volontiers totalement lifter ici et maintenant, je casserai avec grand plaisir mes cristaux de Bohême, j'engloutirai voracement douze pilules roses, j'irai acheter toutes les boutiques Alexis Mabille pas en solde, je giflerai avec plaisir tous ces gamins acnéiques vaniteux et goujats, prétendument matamores, mais en réalité incapables de gérer la moindre crise et qui s'enfuient à la première d'entre elles, je jetterai, comme ça, juste pour voir, une lame de rasoir dans ma flûte de champagne Bruno Evrard et je l'avalerai, je ne comprends pas. Se retrouver atrocement seule comme une belette abandonnée sur une île déserte à mon âge n'a résolument rien de miam-miam.

 

margueritek@live.com

Personne ne m'attendait à l'Aéroport international Rafic Hariri. Personne à mon arrivée de Paris où j'ai passé quelques jours dans une espèce de sas d'autoprotection et de régénération que je m'étais fabriqué après ma semaine au Japon, après ma fusion-acquisition de l'épiderme et du...

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