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Culture - Cimaises

L’œuvre d’Esteban Lisa sort du silence

Organisée par l'ambassade d'Espagne au Liban, une rétrospective consacrée au peintre argentin d'origine espagnole Esteban Lisa (1895-1983) présente, à la villa Audi*, une œuvre hautement intéressante, dont l'une des singularités est qu'elle n'a jamais été exposée du vivant de l'artiste.

Une huile sur carton de 1930.

Pourquoi une rétrospective Esteban Lisa à Beyrouth? Parce que, d'une part, ce peintre, qui pratiqua son art sans la moindre aspiration à la reconnaissance publique, a été l'un des précurseurs du courant abstrait gestuel et de l'«informalisme» en Amérique latine. Et, d'autre part, parce que cet artiste, à la fibre humaniste indéniable, qui s'est voué à l'enseignement de la peinture dans un quartier pauvre de Buenos Aires, a laissé derrière lui des disciples fidèles, parmi lesquels Horacio Boustany el-Khoury, grand industriel argentin d'origine libanaise. Lequel, avec deux autres anciens élèves d'Esteban Lisa, a fondé, quelques années après le décès du maître, une fondation-école d'art destinée à promouvoir le legs spirituel et artistique de celui-ci.
Car Esteban Lisa, artiste singulier, totalement autodidacte, professait un art spirituel imprégné de sciences et de philosophie.
Comme l'explique l'historien d'art Gregory Buchakjian (qui a participé à l'élaboration de l'excellent catalogue de l'exposition), «Esteban Lisa s'est longuement plongé dans la recherche d'une vision universaliste, englobant à la fois la création du monde et le geste artistique.»
C'est cette œuvre, riche en correspondances multiples, élaborée en silence, que dévoile depuis 1987 la Fondation Estaban Lisa** à travers des expositions et des publications consacrées à ce pionnier de l'abstraction en Amérique latine, dont les tableaux figurent aujourd'hui dans plusieurs musées et collections privées à travers le monde.

Un artiste humaniste
Né en Espagne, émigré dès l'âge de 12 ans en Argentine, Esteban Lisa a toujours peint sans jamais vivre de son art, pratiquant en parallèle les métiers de postier puis d'archiviste auprès de la Poste.
Ce «pur» artiste qui, avec Torres-Garcia, fut l'un des premiers abstraits latino-américains, a toujours refusé d'exposer et de vendre sa production picturale - abstraite, donc jugée subversive par le régime péroniste de l'époque, «mais le véritable motif de la discrétion de Lisa est à chercher plutôt dans ses principes spirituels et éthiques», souligne le commissaire de l'exposition, Jorge Virgili -, préférant transmettre son art dans des cours du soir, donnés à des émigrés européens, juifs et arabes. D'ailleurs, dès sa retraite de la Poste, il fonde en 1955 sa propre académie, la Escuela de Arte Moderno Las Cuatro Dimensiones (L'école d'art moderne des quatre dimensions), pour y dispenser, toujours dans cet esprit de liberté, de tolérance, de fraternité et de grande curiosité intellectuelle qui fut le sien, un enseignement artistique basé sur le trinôme «philosophie, sciences et spiritualité ».
L'accrochage à la villa Audi met d'ailleurs parfaitement en lumière cette profondeur de la pensée qui, chez Esteban Lisa, va nourrir ses multiples explorations graphiques. Et cela à travers une scénographie des œuvres intelligemment ponctuée de préceptes et d'aphorismes de l'artiste inscrits à même les cimaises. Des pensées tirées de son essai intitulé Kant, Einstein et Picasso; d'autres qui font référence à son idée très particulière de la culture orientale, cristallisée, chez lui, dans une certaine vision presque mythique du Liban, qu'il n'a connu qu'à travers ses élèves et amis originaires du pays du Cèdre. Comme le signale le commissaire de l'exposition: «Il pensait que les sources de l'art abstrait étaient à rechercher dans la culture orientale.»

Quatre grandes périodes
Composée d'un corpus de dessins et de peintures (au pastel et à l'huile) sur papier de petit format (20 x 30cm), réalisés entre les années 1935 à 1977, la présente exposition suit le cheminement artistique du peintre ibéro-argentin sur quatre grandes périodes.
La première, qui va des années trente à quarante-cinq, se caractérise par une abstraction géométrique, se déclinant dans une palette de tons terreux, à la rigueur formelle atténuée cependant par une démarche sensible, chaleureuse et nuancée.
À partir de 1945, il va se tourner vers une abstraction expressionniste et se livrer à un jeu de lignes et de couleurs vives et fortes, toutes imprégnées de rythmes subjectifs, d'harmonies et de signes musicaux.
Suivra, au cours des années cinquante, une série d'huiles et de pastels sur papier, qualifiée d'«Acte Spatiaux», où prédomine le geste spontané et l'allégresse chromatique des spirales, des tourbillons, des courbes et des arabesques... La maturité venant, la dernière période, qui va de 1959 à 1978, sera celle de «la sublimation du geste, de l'économie des moyens, des accords du blanc et du vide, de l'explosion de la lumière dans une peinture minimaliste ».
Une peinture «journal intime et suite d'exercices formels à la fois», dixit Gregory Buchakjian, «toujours de la taille d'une partition», et qui gardera, tout au long des différentes périodes, une caractéristique dominante: cette magistrale harmonie du rythme, de la composition et de la palette.
À voir de plus près !

* Jusqu'au 17 avril. Horaires d'ouverture : du lundi au vendredi, de 10h00 à 17h00. Informations au 01/331600.
** Outre la promotion de l'œuvre de l'artiste, la Fondation Esteban Lisa dispense des formations en arts plastiques qui, dans la lignée de l'esprit du maître, offrent aussi une initiation à l'éduction spirituelle des élèves, adultes et enfants. 
Pourquoi une rétrospective Esteban Lisa à Beyrouth? Parce que, d'une part, ce peintre, qui pratiqua son art sans la moindre aspiration à la reconnaissance publique, a été l'un des précurseurs du courant abstrait gestuel et de l'«informalisme» en Amérique latine. Et, d'autre part, parce que cet artiste, à la fibre...

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