Le phénomène Sarah Palin - car, aux yeux d'un indigène de la « vieille Europe » revenu de tout, il s'agit bien d'un phénomène - en laisse perplexe plus d'un. Pourtant les exemples ne manquent pas d'hommes et de femmes ayant réussi leur parcours alors que rien ne les y prédisposait et même, au contraire, que tout concourait à justifier a posteriori leur éventuel échec. À la veille de la victoire de Barack Obama, Hillary Rodham Clinton, faussement candide, faisait cette confidence sur une chaîne de télévision : « Je ne quitterai pas mon pays si Palin devait être élue. » C'est dire dans quel état d'esprit se trouvait alors la nation. Depuis, avec le formidable appétit qui la caractérise, l'Amérique est parvenue à « digérer » l'intruse, à l'admettre même comme partie intégrante de son paysage. Sur le web, elle a ses partisans, acharnés à défendre jusqu'à ses faiblesses, n'hésitant pas au passage à s'en prendre à l'actuel locataire de la Maison-Blanche, jugé, tout comme les membres de son équipe et ses partisans, d'affreux « communistes de gauche » (sic).
La chaîne Fox, dont pourtant elle est, depuis peu, la collaboratrice occasionnelle, n'arrête pas de se justifier depuis que, dans un épisode de la série Family Guy, l'un des personnages, Chris, amoureux d'une jeune fille souffrant du syndrome de Down, s'enquiert des parents de celle-ci et s'entend répondre : « Le père est comptable et la mère est un ancien gouverneur de l'Alaska. » Or, l'ancienne candidate du Grand Old Party a démissionné il y a quelque temps de ce poste et, en outre, son cinquième enfant, Trig, est atteint de la maladie. Très peu élégant, en effet. L'intéressée est montée en première ligne pour dénoncer l'allusion à sa vie privée, elle qui, une attitude tout à son honneur, répète souvent que son dernier-né (elle est mère de cinq enfants) est un don du ciel, et qui n'hésite pas à l'exhiber devant les flashes des caméras.
Alors, Mère Courage ? Si l'on veut. Mais pas que cela. Ici, le champ de bataille, contrairement à ce que voulait Bertolt Brecht dans sa pièce, est politique, ce qui n'ôte rien, au contraire, à l'âpreté des combats que l'on y mène. Disons plutôt que l'ancienne candidate à la vice-présidence est le reflet vivant de l'Amérique d'en bas, pour paraphraser Jean-Pierre Raffarin : antithèse de son président et proche de cette redoutable National Rifle Association qui, depuis 125 ans, prétend déterminer le cours de la vie quotidienne des gens ; résolument anti-IVG et acharnée à défendre l'idée de la femme au foyer. Que voulez-vous être ? lui avait-on demandé un jour. Elle : « First and foremost, I want to be a good mom. » (d'abord et surtout une bonne maman). Et vlan, par-dessus l'Atlantique, aux théories d'Élisabeth Badinter* ...
Les États-Unis, à travers les grosses lunettes de la dame en question, sont incapables de voir plus loin que les limites du « county » de chacun, voudraient au plus vite ramener dans leurs foyers les boys partis guerroyer sur les bords de l'Euphrate ou dans la Khyber Pass contre d'affreux combattants, conduits par les auteurs du 11-Septembre. Ils s'interrogent surtout sur leurs rapports immédiats avec cet Autre qui, nonobstant une mondialisation dont on parle tant et que l'on voit si peu, lui paraît de plus en plus lointain.
Tant qu'il en sera ainsi, il ne manquera pas de Sarah Palin. Et pas seulement du côté de chez l'Oncle Sam.
* Philosophe. Ouvrage paru il y a quelques jours, et qui fait débat en France : La femme et la mère.
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