La vie créative de Roger Moukarzel

Le projet ne pouvait que le tenter. Lui qui, après les rictus de la guerre, son noir et blanc sanguinaire et cruel, a choisi la couleur, le bonheur, la légèreté de la mode et de la publicité, le sourire de la vie tout simplement.  Roger Moukarzel, un des plus anciens photographes de la « jeune génération », qui prend de la maturité dans un travail de plus en plus abouti, a commencé tellement jeune qu'il ne semble pas avoir perdu sa fraîcheur, son regard et une authenticité qui se fait rare dans les milieux dits artistiques. Loin des projecteurs, il choisit de braquer subtilement les siens en créant des ambiances particulières et des lumières qui font briller de bonheur les yeux de ses sujets. Son talent est discret et surtout libre, ses projets se décident sur un coup de cœur pour une région, une culture, un pays, une cause ou une personne. Il y a toujours de l'humain dans le travail de Roger Moukarzel. Et beaucoup de talent.

Galerie de portraits
Creative Lives était donc une proposition qu'il ne pouvait refuser. Saisir le regard, l'expression, le portrait de chacune des 31 personnalités choisies pour en faire une image qui parle et un ouvrage à garder et à regarder. « Nous voulions, à travers le choix de ces artistes, montrer la variété et l'étendue du talent des Libanais, souligne Charlotte Hamaoui, directrice de la maison d'éditions Turning Point. Célébrer leur créativité malgré tous les problèmes qu'a traversés le pays et cette énergie rare dans des domaines aussi différents que la danse, la musique, le cinéma, la gastronomie, la mode, l'architecture, le design, la sculpture et la peinture. » Son choix s'est donc porté sur quelques talents du moment : Alissar Caracalla, Anachar Basbous, Anissa Hélou, Bernard Khoury, Élie Garzouzi, Flavia Codsi, Georges Chakra, Guy Manoukian, Hany Tamba, Hiba al-Kawas, Hoda Baroudi et Maria Hibri, Hussein Madi, Iman Humaydan,  Jean-Claude Boulos, Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige, Khaled Mouzannar, Michel Eléftériadès, Nabil Dada, Nabil Gholam, Nada Debs, Nada Ghazal, Nadine Labaki, Philippe Skaff, Rabih Kayrouz, Rabih Mroué, Sarah Beydoun et Sarah Nahouli, Zuhair Mourad et... Roger Moukarzel, superbement servi par lui-même. « J'ai fonctionné par instinct, précise le photographe. C'était un défi de faire ressortir la personnalité de chacun, surtout ceux que je ne connaissais pas, sans utiliser les clichés habituels qui décrivent leur métier. »
Avec une préface signée Roseanne Khalaf, une mise en page de Chantal Yazbeck Coroller, à la fois cohérente et structurée, et un texte de Sierra Prasada, auteure et journaliste américaine, l'ouvrage est un bel hommage au génie libanais. « Beyrouth est mon home quand je suis loin de chez moi ! Je suis tombée amoureuse de votre pays lors d'une visite faite en 2007, j'étais venue y perfectionner mon arabe. J'ai également été fascinée par cette particularité que l'on ne trouve nulle part ailleurs, confie l'auteure. Pour rédiger mes textes, j'ai rencontré toutes ces personnes remarquables qui m'ont si bien parlé de leur parcours, chacun fort enrichissant et inspirant. »
La parution du livre s'accompagne d'une très belle exposition des photos de Roger Moukarzel chez Nalbandian, vidé d'une partie de ses tapis pour quelques jours. La scénographie, qu'il a voulu simple, épurée et claire, crée une ambiance à la fois particulière et amicale. Les couleurs, les regards, comme des présences, s'étalent sur des grands formats, tapissant les murs de ces portraits saisissants. Plus que de les regarder, c'est l'envie de leur chuchoter à l'oreille certaines confidences, compliments à demi-mot, qui prend le visiteur. Alors, l'on s'approche discrètement du portrait du photographe, chantre d'un monde sans violence, pour lui dire, une fois de plus, que son travail est simplement beau.

(*) Creative Lives, éditions Turning Point. Photographies de Roger Moukarzel, texte de Sierra Prasada, en vente dans toutes les librairies.
L'exposition se poursuivra jusqu'au 19 décembre chez Nalbandian, Centre Sofil.