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Les syriaques, une communauté chrétienne en voie de disparition

Leila Latti, moukhtara syriaque de Sad el-Bauchrieh

La moukhtara Leila Latti : « Quand je parle syriaque, je rends hommage au Christ. »

Une rue de Sad el-Bauchrieh. Une enseigne écrite en arabe et en syriaque indique que nous sommes devant le bureau de Leila Latti, la moukhtara syriaque de la localité.
Leila Latti répond à son téléphone en toroyo (dialecte syriaque de Tour Abdine, en Turquie). Avec son frère, qui l'aide au bureau, elle parle également dans cette langue et même si elle a épousé un Brésilien, elle s'adresse à ses enfants dans sa langue d'origine.
Cette jeune femme, qui est la benjamine d'une famille de sept enfants, est moukhtara depuis cinq ans, et avec les moyens mis à sa disposition, elle tente d'aider la communauté syriaque qui habite Sad el-Bauchrieh, secteur pauvre du Metn.
Leila Latti raconte que sa famille est venue au Liban en 1915, fuyant les massacres de l'Empire ottoman contre les chrétiens. « Tour Abdine, qui signifie la montagne des Ermites, se trouve au sud-est de la Turquie. Il y a toujours des syriaques qui y vivent. Mais beaucoup d'entre eux partent vers l'Allemagne ou la Suède », dit-elle.
C'est avec les yeux qui brillent que Leila Latti parle de Tour Abdine qu'elle a visitée une seule fois. « Je sens que c'est mon pays. Les gens là-bas parlent ma langue. Malgré tous les massacres qui ont eu lieu et malgré l'émigration, il y a encore des syriaques dans cette zone de la Turquie et il y a encore des églises et des monastères debout », dit-elle. Un brin de fierté dans la voix, elle raconte que « les syriaques originaires de Tour Abdine habitant en Europe ont mis en place des systèmes de parrainage avec leur village d'origine et ils ont entamé la reconstruction des maisons abandonnées depuis le début du siècle dernier. »

« Nous sommes les descendants des Sumériens »
Leila parle de son sentiment d'appartenance à Tour Abdine, au Liban, à tout le Moyen-Orient, à la communauté syriaque. « Dans l'antiquité, tout le Moyen-Orient parlait l'araméen, souligne-t-elle. Les conquêtes arabes ont violé notre langue et notre terre. Ce n'est pas parce que nous avons appris avec le temps à parler la langue arabe que nous sommes devenus des Arabes, loin de là. Nous sommes les descendants des Sumériens. Nous ne portons aucune haine envers les Arabes, mais nous avons d'autres origines et une autre histoire. Je parle la langue du Christ. Dans mon quotidien, quand je parle en toroyo (dialecte araméen), je rends hommage au Christ. Y a-t-il un meilleur moyen de rendre hommage à Dieu que de parler sa langue ? » dit-elle. Elle marque une pause et ajoute : « En préservant ma langue, je préserve mon identité », reconnaissant cependant que seules 5 % des jeunes générations syriaques parlent encore la langue.
Leila évoque les déboires des syriaques du Liban. « Beaucoup de syriaques n'ont toujours pas la nationalité libanaise. Malgré la guerre, durant les années soixante-dix et quatre-vingt, beaucoup de syriaques habitant Hassaké et Qameshli, en Syrie, se sont réfugiés au Liban, car sous le régime de Hafez el-Assad l'étau s'est resserré sur eux. Il leur était, par exemple, interdit d'enseigner leur langue. Même s'ils n'avaient que la nationalité syrienne, ou des papiers d'identité sous étude, les syriaques habitant le Liban ont lutté contre la présence syrienne. Ils ont défendu la présence chrétienne au Liban. Pour nous, l'équation est simple : le Liban est le seul pays du Moyen-Orient où les chrétiens ont encore leur mot à dire. Ici, le système en place préserve et protège la présence chrétienne, et nous y tenons. »
« Durant la guerre, les syriaques ont donné 1 132 martyrs pour le Liban. À aucun moment ces personnes, mortes pour le Liban, n'ont pensé que le pays ne leur a pas donné la nationalité, même si elles étaient nées ici avec leurs familles », martèle-t-elle.
Mais aussi, durant la guerre, beaucoup de syriaques arrivés de Syrie au Liban durant et après les années vingt et n'ayant pas la nationalité libanaise ont quitté le Moyen-Orient pour s'établir en Europe, notamment en Allemagne, qui compte la plus importante communauté syriaque d'Europe, en Suède, où ils ont plusieurs parlementaires et plusieurs présidents de conseils municipaux, et aux Pays-Bas, où ils ont construit un évêché, indique Leila Latti.

Sans-papiers
Leila Latti évoque les problèmes des membres de la communauté qui vivent à Sad el-Baouchrieh : comme tous les habitants de la zone, ils vivent dans la pauvreté. Ils sont, notamment, journaliers, ouvriers sur les chantiers ou dans les usines.
Par contre, les riches membres de la communauté, et ils sont nombreux, ont quasiment fondu dans la société libanaise et se sont petit à petit éloignés de leur Église.
Elle indique que nombre de syriaques ont bénéficié de la nationalité libanaise dans le cadre du décret sur la naturalisation en 1994, mais même dix ans après leurs naturalisation, beaucoup de portes leur sont toujours fermées. À titre d'exemple, ils ne peuvent pas se présenter aux élections municipales et législatives.
Même si un important nombre de syriaques a été naturalisé en 1994, beaucoup d'entre eux vivent encore au Liban avec la nationalité syrienne ou sont tout simplement des sans-papiers, même s'ils étaient présents à Beyrouth au moment de la promulgation du décret. Ces personnes-là vivent dans la pauvreté absolue et les papiers de l'Église confirmant leur baptême sont les seuls documents officiels qu'ils possèdent.
Une rue de Sad el-Bauchrieh. Une enseigne écrite en arabe et en syriaque indique que nous sommes devant le bureau de Leila Latti, la moukhtara syriaque de la localité. Leila Latti répond à son téléphone en toroyo (dialecte syriaque de Tour Abdine, en Turquie). Avec son frère, qui l'aide au bureau, elle parle également dans cette...