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Les syriaques, une communauté chrétienne en voie de disparition

Malfono Abdelkarim, originaire d’Ourfa, raconte sa vie entre Alep et Beyrouth

Malfono Abdelkarim originaire d’Ourfa (Edessa) tient une imprimerie en langue syriaque. Il est fier de venir de la même ville que Mar Ephrem, le père de l’église syriaque.

Abdelkarim Chahan, ou encore Malfono (professeur de langue syriaque), tient l'une des rares, si ce n'est la seule, imprimeries syriaques du pays. Située à la cité industrielle de Sad el-Bauchrieh, l'imprimerie Thomas édite des livres bilingues, trilingues, voire multilingues... Les ouvrages comprennent des textes en langue syriaque, en arabe, en français, en anglais, en arménien... L'imprimerie publie notamment des livres de lecture et de prières, vendus à l'étranger et au Liban.
Malfono Abdelkarim travaille depuis les débuts des années quatre-vingt dans cette imprimerie. Il a 83 ans, il est de confession syriaque-orthodoxe et il est fier d'être originaire d'Ourfa, en Turquie (Edessa ou el-Raha en syriaque), première ville du monde antique à avoir choisi le christianisme comme religion. C'est aussi la ville où a vécu la plupart de sa vie saint Ephrem (306-373), père de l'Église syriaque-orthodoxe.
Abdelkarim donne également des cours particuliers de langue syriaque et enseigne sa langue d'origine à l'Association des amis de la langue syriaque. Il raconte son histoire : « Ma famille a quitté Ourfa, la capitale des syriaques, en 1924. Les chrétiens de la ville étaient arméniens et syriaques. Nous étions un millier de familles syriaques à fuir. Nous avions peur qu'il y ait encore des massacres comme ceux de 1915. Nous avons payé aux Ottomans une livre en or pour chaque personne qui passait la frontière vers la Syrie. Moi, je suis né un peu plus tard sous une tente à Alep. Nous étions des réfugiés. Mais rapidement, nous avons construit des immeubles de plusieurs étages et une église. »
Et de poursuivre : « À Alep, j'ai été à l'école française. C'était le temps du mandat. J'ai appris le français, l'arabe et le syriaque pour la prière. À l'âge de 16 ans, j'ai senti que nous étions en train de fondre parmi les Alépins et les Arméniens qui, eux, parlaient tout le temps leur propre langue et faisaient des efforts pour préserver leur culture. J'ai décidé de fonder une association pour préserver la langue syriaque. Je l'avais appelée « Rihmat Moto » (l'amour de la patrie) », dit-il.
Après son brevet, Abdelkarim Chahan travaille à Alep puis part pour Mossoul où il passe deux ans dans un monastère. Il voulait devenir moine. C'est là qu'il apprend à maîtriser le syriaque et l'arabe. Abdelkarim, qui maîtrise également l'arménien, l'anglais et l'hébreux, retourne à Alep et décide de travailler dans l'imprimerie.

Le Liban pour être libre
« Durant les années cinquante, j'ai imprimé un dictionnaire hébreu-anglais, indique Abdelkarim. J'ai reçu la visite de la police syrienne. C'était au temps de l'Union avec l'Égypte, l'étau se resserrait sur les chrétiens en Syrie. J'ai donc décidé de venir à Beyrouth. Je savais que je pouvais travailler plus librement », souligne-t-il.
Malfono Abdelkarim s'installe à Achrafieh, non loin de l'Hôtel-Dieu, dans la zone qu'on appelle actuellement Hay el-Achouriyé (quartier des Assyriens). « Je n'avais personne, sauf quelques cousins éloignés dont je n'étais pas très proche. En 1956 (sous le mandat de Camille Chamoun), j'ai été chez un moukhtar à Achrafieh, comme plusieurs personnes de ma communauté, et j'ai payé 50 livres pour des formalités afin d'avoir la nationalité libanaise. Mais comme le moukhtar ne savait pas où me joindre, je n'ai pas eu la nationalité à cette époque et jusqu'en 1994, j'ai vécu avec ma famille au Liban avec la nationalité syrienne », précise-t-il.
Au début des années soixante, Abdelkarim épouse une jeune fille syriaque-orthodoxe, originaire d'Ourfa, et habitant Alep. Il a trois enfants. Au début de la guerre du Liban, il décide de rentrer en Syrie. C'est qu'il a eu peur. « J'étais chrétien mais aussi syrien, j'aurai pu être liquidé à n'importe quel barrage. Je suis parti avec ma famille à Alep, mais au bout d'un an et demi, des amis libanais sont entrés en contact avec moi. Ils avaient besoin de mon savoir-faire dans l'imprimerie », raconte-t-il.
La fille de Abdelkarim a épousé un Libanais. Elle a donc eu la nationalité libanaise avant la promulgation du décret de 1994 sur la naturalisation. « Mon fils aîné a pris la fuite le 13 octobre 1990. Avec l'entrée des Syriens à Beyrouth-Est, il a eu peur. Il ne pouvait pas imaginer qu'il pourrait effectuer son service militaire en Syrie. Il est donc parti en Suède. Aujourd'hui, il a la nationalité suédoise et il vient d'acheter une grande maison au Liban. Mon fils benjamin est joaillier. Il effectuait son service militaire en Syrie quand on devait présenter les demandes pour la naturalisation. Il est rentré au Liban le dernier jour et il a réussi à faire toutes les formalités pour avoir des papiers libanais, mais il ne figure pas sur le même registre que moi parce que nous n'avons pas présenté la demande en même temps », indique-t-il.
Malfono Abdelkarim est parti une fois à Ourfa. « C'était en juillet 1974. J'étais avec un homme de ma communauté qui connaissait la ville. Il m'a montré la maison de ma mère. C'était une belle grande maison. Les maisons des syriaques étaient habitées par des Turcs et des Kurdes. Je devais passer trois jours à Ourfa, j'y suis resté moins de 24 heures. Le jour de mon arrivée, l'invasion turque de Chypre a commencé et nous avons eu peur de rester en Turquie. »
Avec son fils joaillier, Malfono Abdelkarim, aidé de Yolla Touma, fille de la propriétaire de l'imprimerie, a mis au point un nouveau programme informatisé, concernant le corps du texte, pour imprimer des livres en lettres syriaques.
Abdelkarim Chahan, ou encore Malfono (professeur de langue syriaque), tient l'une des rares, si ce n'est la seule, imprimeries syriaques du pays. Située à la cité industrielle de Sad el-Bauchrieh, l'imprimerie Thomas édite des livres bilingues, trilingues, voire multilingues... Les ouvrages comprennent des textes en langue syriaque, en arabe, en...