L'écrivain franco-mauricienne Ananda Devi, qui est à son quatorzième ouvrage, livre un récit à l'écriture âpre et amère, mais également magistrale car puissante et bien maîtrisée. L'auteur du Sari vert parvient à se faire violence pour décrire ces sentiments qui font gicler l'horreur à la figure (l'image de la vache aux quatre pattes coupées). Au cours d'un entretien avec le public à Beyrouth, l'écrivain avouera qu'elle-même ne sait pas exactement comment elle a pu exprimer cette haine avec autant d'acuité. Elle évoquera ses débuts d'écrivain et le chemin parcouru depuis.
À la conquête des mots
Lorsque Ananda Devi, petite adolescente, gagne un concours de nouvelles à l'âge de quinze ans, c'est la panique dans la maisonnée. La jeune fille, qui dit être venue à l'écriture par le biais de la lecture, «notre maison à Maurice était remplie de livres, de Victor Hugo à Agatha Christie», dit-elle, écrira ses premiers poèmes à l'âge de sept ans. « C'était surtout l'envie de créer des livres qui m'a poussée à continuer à écrire », poursuit-elle. Ainsi, nourrie par « des contes de la tradition hindoue que ma mère me racontait et par celui des Mille et Une Nuits», l'écrivain gardera tout au long de ses romans ce fil conducteur de conte magique, cruel et imaginaire qui donne une autre dimension à l'écriture puisqu'il plonge dans la réalité des cultures pour les transcender d'une manière universelle. «Je suis un être hybride, précise-t-elle, l'amalgame d'une culture orientale et occidentale. C'est pourquoi j'ai essayé dans mes romans d'illustrer cette relation hommes-femmes qui régit les civilisations.» Dans ses romans précédents, Ananda Devi a toujours incarné la victime, généralement une femme. Aujourd'hui, dans Le Sari vert, une histoire à contre-pied, elle prend le point de vue de l'homme tout en essayant de décoder le mécanisme de la violence. «Oui, la violence est au centre de ce roman. Ce médecin tyrannique a régné sur son entourage par la haine et la force. Ses brutalités ont causé la mort de son épouse. Je voulais remonter à la source de cette violence, mais aussi montrer parallèlement comment les victimes se vengent de la souffrance que cet homme leur a infligée. Cette vengeance est d'autant plus terrible que le père ne s'excuse jamais du mal qu'il a perpétré autour de lui. Il meurt dans la méchanceté, comme il a vécu.»
«La violence est une grâce», dit-elle dans son roman. Un constat effrayant mais pathétique, puisqu'il illustre la réalité d'une grande partie du genre humain.
Le Sari vert, Ananda Devi (Gallimard). Disponible à la librairie Antoine.