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Économie - Débat

Keynes et la crise du capitalisme

Durant une conférence à la London School of Economics (LSE), Lord Robert Skidelsky* a sonné le glas de la doctrine ultralibérale, prévoyant un regain progressif de la mouvance keynésienne.


« Il s'agit désormais de la fin de l'ère marquée par la suprématie de la doctrine de l'école de Chicago. » C'est en ces termes que l'économiste et auteur du livre Keynes : the return of the master, Lord Robert Skidelsky, a donné le ton d'une conférence tenue récemment au sein du Old Theatre de la London School of Economics (LSE). Critiquant avec virulence, et non sans ironie, les idées libérales qui, selon lui, sont à la source même de la crise actuelle du capitalisme, M. Skidelsky s'est posé comme défenseur de la pensée du grand économiste John Keynes, prévoyant un retour graduel à ce courant qui avait largement marqué la pensée économique mondiale et dicté les politiques gouvernementales en Occident au milieu du siècle dernier.
Axée sur le principe selon lequel les marchés laissés à eux-mêmes ne conduisent pas forcément à l'optimum économique et que tout gouvernement a un rôle à jouer, notamment dans le cadre de la politique de relance post-crise, la mouvance keynésienne avait cédé la place au début des années 1980 à un courant radical, connu sous le nom de « la nouvelle économie classique ». Celui-ci, auquel sont associés plusieurs économistes de renom, dont Milton Friedman et Robert Lucas (prix Nobel d'économie en 1976 et 1995 respectivement), repose sur des fondements microéconomiques rigoureux et des théories telles que celles du marché efficient (efficient market) et de la rationalité des agents.
« C'est essentiellement à cause de ces théories que le secteur bancaire américain s'est effondré en septembre dernier et que l'économie de la plus grande puissance mondiale a chuté de 7 % au cours des douze derniers mois », entraînant dans son sillage l'économie mondiale, a ainsi déploré le professeur Skidelsky. « Au Royaume-Uni, le PIB a reculé de 5,5 %, ce qui équivaut à 70 milliards de dollars de dépenses en moins. Faut-il blâmer les économistes de ne pas avoir pu prédire cette crise ou regarder plutôt le fond du problème et s'y attaquer ? » s'est-il interrogé, soulignant à cet égard la nécessité de remédier aux effets dévastateurs de la crise en ayant recours aux « mesures keynésiennes », dont notamment l'usage du dispositif fiscal, par opposition au monétarisme. « Durant la grande dépression de 1929, les gouvernements des pays frappés par la crise n'étaient pas intervenus, optant pour une politique de contrôle du budget, ce qui leur a valu 12 secousses successives dans les mois qui ont suivi » le fameux jeudi noir, a-t-il ainsi rappelé.
Affirmant que le monde actuel a tiré certaines leçons des erreurs commises par le passé, l'auteur du livre Keynes : the return of the master a néanmoins critiqué le laxisme et l'hésitation de certains gouvernements à augmenter leurs dépenses afin de stimuler l'économie, égratignant au passage le gouvernement britannique et son Premier ministre. « Au Royaume-Uni, la politique monétaire semble continuer à prendre le dessus, comme en témoigne l'injection par la Banque d'Angleterre depuis mars dernier de 142 milliards de dollars pour soutenir l'activité de crédit. Cela n'a toutefois produit aucun effet palpable sur le nombre et le volume des prêts accordés, ce qui prouve la futilité de cette politique en temps de crise », a-t-il ainsi souligné. « Ce qu'il faut avant tout, c'est restaurer la confiance, et cela ne peut avoir lieu qu'à travers une implication directe de l'État », a-t-il ajouté, indiquant à cet égard que les dépenses publiques ont atteint 35 milliards de dollars au Royaume-Uni entre février et septembre derniers. « Il ne faut surtout pas couper les vannes avant que l'économie ne commence à afficher des signes évidents de relance », a-t-il poursuivi, appelant le gouvernement britannique à davantage d'intervention pour éviter que la récession ne dure plus longtemps.
Sur un ton plutôt prophétique, Robert Skidelsky a enfin annoncé la fin d'une phase ayant mené à cette « volatilité » du marché mondial d'investissements, clôturant son intervention sur une confession de l'ancien gouverneur de la Réserve fédérale, Alan Greenspan, pour qui l'effondrement du secteur bancaire a été à la source de l'écroulement de son édifice intellectuel.

* Économiste britannique d'origine russe, il est l'auteur d'une biographie en trois volumes de John Maynard Keynes. Il est actuellement professeur émérite de sciences économiques à l'Université de Warwick.
« Il s'agit désormais de la fin de l'ère marquée par la suprématie de la doctrine de l'école de Chicago. » C'est en ces termes que l'économiste et auteur du livre Keynes : the return of the master, Lord Robert Skidelsky, a donné le ton d'une conférence tenue récemment au sein du Old Theatre...

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