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Moyen Orient et Monde - Le point

« You lie ! »

Nancy Pelosi affichait un air à la fois surpris et contrit, tandis que le président, ordinairement d'un calme olympien, s'arrêtait, interloqué, au beau milieu d'une phrase. Des bancs de l'honorable assemblée, une apostrophe avait fusé : « Vous mentez ! » Ayant dit, et comme honteux de son audace, Joe Wilson s'était plongé dans son Blackberry, hochant la tête par moments pour marquer sa désapprobation avant de s'éclipser une fois conclue l'intervention présidentielle. Maureen Dowd, du New York Times, prétend, elle, avoir entendu : « You lie, boy ! » ce dernier mot étant encore plus inadmissible car il ramène à l'époque peu glorieuse de l'esclavage. Dans son adresse devant les deux Chambres réunies, Barack Obama venait de préciser que l'assurance médicale qu'il proposait ne couvrirait pas les immigrants illégaux, ce qui avait provoqué l'ire du représentant républicain de la Caroline du Sud, convaincu, à l'instar de certains de ses collègues au sein du parti, que la barrière prévue contre un tel abus allait s'avérer illusoire.
Tout homme politique sait qu'il n'y a rien de plus facile que de faire à l'adversaire un procès d'intention. Surtout lorsque, comme c'est le cas dans l'affaire de l'« Obamacare », ainsi qu'on l'appelle désormais aux États-Unis, le texte transmis aux législateurs se trouve encore au stade de l'examen en commission. Mais les remous causés par le scandale au Congrès n'allaient pas s'apaiser pour autant. Vingt-quatre heures plus tard, c'était, d'une côte à l'autre, une explosion de stickers et de t-shirts portant l'inscription infamante. Avec une inévitable retombée : en quelques heures, l'adversaire démocrate de l'accusateur à l'élection de l'an prochain, l'ancien marine Rob Miller, obtenait des contributions de l'ordre de 200 000 dollars offertes par quelque 5 000 donateurs. Dans le même temps, pleuvaient accusations et contre-accusations. Des membres du Grand Old Party, une formation en nette perte de vitesse depuis les désastres accumulés par les faux pas de George W. Bush et des siens, se prenaient à soupçonner le chef de l'exécutif d'être un affreux « radical » - une expression qui, dans la bouche d'un Américain, n'a rien à voir avec la formation de Léon Bourgeois. Épluchant le passé de Wilson, Maureen Dowd - encore elle - avait découvert qu'il appartenait à l'organisation des Fils des vétérans confédérés, qu'il s'en était pris à une femme noire prétendant être la fille illégitime d'un héros de la ségrégation raciale, le sénateur Strom Thurmond, qu'il avait pris en l'an 2000 la tête d'une croisade pour l'installation de l'ancien drapeau sudiste. Autant de faits d'arme qui permettent, mieux que tout curriculum vitae, de définir les contours d'un homme se situant à l'extrême droite de son parti.
Le soir même, celui par qui l'esclandre était arrivé s'empressait de téléphoner à la Maison-Blanche pour s'excuser, ne réussissant à obtenir au bout du fil que le secrétaire général, Rahm Emanuel, avant de se fendre d'un communiqué : « Aujourd'hui, j'ai donné libre cours à mes émotions. Mes commentaires étaient inappropriés et regrettables. J'exprime au président tous mes regrets pour ce manque de courtoisie. » Pour sa part, la caste politique, toutes tendances confondues, criait haro sur le trublion, ses pairs républicains les premiers qui voyaient le président mettre à profit l'inattendu cadeau à lui offert pour hâter le blitzkrieg censé déboucher sur le vote de son projet.
Sans doute que l'insulte faite à la plus haute magistrature méritait la mobilisation médiatique qui s'en est ensuivie. La leçon avait besoin d'être donnée et retenue, en Amérique mais aussi ailleurs dans le monde, au niveau du pouvoir comme à celui de ses censeurs. Les écarts de langage ne sauraient être admis comme l'est de nos jours, par exemple, le débraillé vestimentaire, au nom du faux argument du modernisme. Fort heureusement, l'opinion publique continue à s'offusquer d'un leste conseil à « se casser » adressé par un chef d'État à un quidam, d'une gifle balancée à un apprenti pickpocket surpris la main dans votre poche, d'une aimable invitation à se cogner la tête contre le mur lancée par un dirigeant libanais à l'intention de ses ennemis. C'est que, jusqu'à nouvel ordre, l'exercice de la politique continue d'être une affaire entre gens de (relative) bonne compagnie. Certes l'époque n'est plus aux joutes entre grands orateurs, ni aux superbes envolées d'un de Gaulle ou d'un Churchill. D'ailleurs, l'homme de la rue a considérablement réduit ses exigences en la matière, forcé qu'il est de « faire avec ». À tout le moins ce n'est pas trop demander, me semble-t-il, que l'élu mette quelque élégance dans son propos et son cheminement. Celle-là même dont parle Cyrano et qui est affaire de morale.
Nancy Pelosi affichait un air à la fois surpris et contrit, tandis que le président, ordinairement d'un calme olympien, s'arrêtait, interloqué, au beau milieu d'une phrase. Des bancs de l'honorable assemblée, une apostrophe avait fusé : « Vous mentez ! » Ayant dit, et comme honteux de son audace, Joe Wilson...

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