Rechercher
Rechercher

Législatives : juin 2009 - Pour aller plus loin

Équation inversée

Dans le sillage du repositionnement politique auquel il s'est spectaculairement livré au début du mois d'août dernier, le leader du PSP Walid Joumblatt a appelé à plusieurs reprises ces derniers jours à un « dialogue » entre l'Iran et les pays arabes dits modérés, soulignant, dans ce même ordre d'idée, que ces derniers, plus particulièrement l'Arabie saoudite, l'Égypte et la Jordanie, devraient éviter de se laisser entraîner dans une politique d'axes régionaux hostile à la République islamique iranienne.
En clair, cet appel de Walid Joumblatt à la raison et au dialogue renvoie pratiquement dos à dos l'Iran et les pays arabes modérés. En d'autres termes, le leader du PSP semble vouloir se maintenir au-dessus de la mêlée et transcender, ou tout au moins occulter, en quelque sorte la nature du conflit d'un genre nouveau qui secoue le Moyen-Orient, sous l'effet des visées iraniennes sur la région. Il apparaît en effet évident, pour qui suit de près, à partir d'une position de recul, les développements géopolitiques sur la scène moyen-orientale, que nous assistons non pas à un classique et traditionnel bras de fer entre deux blocs antagonistes, mais plutôt à une véritable offensive militaro-politico-sécuritaire iranienne en direction du monde arabe. Ce que Walid Joumblatt s'abstient de dire, ce qu'il s'emploie à dissimuler totalement, c'est qu'il y a dans cette affaire un agresseur et un agressé. Les faits à cet égard sont particulièrement éloquents.
Parallèlement à sa tête de pont sur les bords de la Méditerranée que constitue le Hezbollah, la République islamique a réussi ces dernières années à récupérer le Hamas en le transformant en un nouvel instrument - complémentaire au parti chiite - au service de ses desseins stratégiques. Et c'est en s'appuyant sur ces deux tremplins que le régime iranien a lancé son expansion rampante. Le vaste réseau implanté par le Hezbollah en Égypte et démantelé par les autorités égyptiennes a été perçu non seulement au Caire, mais également dans nombre de capitales arabes comme l'une des manifestations de cette volonté de Téhéran d'étendre son hégémonie dans la région et de s'imposer comme le principal acteur du conflit proche-oriental.
Au Yémen, le régime iranien est accusé de soutenir ouvertement la rébellion des « Houthis » contre le pouvoir central. Le président Ali Abdallah Saleh a été jusqu'à affirmer récemment, dans une interview au quotidien al-Hayat, que le Hezbollah a encadré et entraîné les miliciens relevant des « Houthis ». Il aura fallu, semble-t-il, l'intervention de l'aviation militaire saoudienne, selon certaines informations, pour contenir l'ampleur de la rébellion, ce qui reflète l'importance de l'aide fournie par Téhéran aux « Houthis ».
Quant à l'Irak, les ingérences iraniennes sont un secret de polichinelle, et là aussi, le Hezbollah est accusé de seconder les rebelles chiites. Un cadre du Hezbollah a notamment été arrêté à Bagdad pour son rôle dans l'encadrement des milices pro-iraniennes.
Et cerise sur le gâteau, l'hebdomadaire français L'Express a rapporté dans son avant-dernière édition qu'un coup d'État fomenté par des officiers proches de l'Iran a été déjoué en juillet dernier... au Qatar. À en croire le périodique français, plusieurs officiers supérieurs connus pour leurs liens avec le régime de Téhéran ont été arrêtés ou placés en résidence surveillée à la suite de ce coup de force avorté. Cette information - si elle s'avère exacte - est d'autant plus significative de l'ampleur des desseins hégémoniques de la République islamique que le pouvoir en place au Qatar est connu pour son attitude plus qu'amicale envers Téhéran, et envers la tête de pont iranienne que constitue le Hezbollah. Et puisque l'on parle d'un pays du Golfe, il ne serait pas inutile de rappeler dans un tel contexte global le vieux contentieux qui oppose l'Iran aux Émirats arabes unis sur les îles d'Abou Moussa.
Plus près de nous, les velléités hégémoniques de la République islamique se manifestent par une double offensive politico-sécuritaire farouche qui a pour théâtre Gaza et le Liban. S'appuyant sur le levier du Hamas, le régime iranien a tenté de bouleverser la donne géopolitique en se livrant, par le biais du mouvement fondamentaliste, à un coup de force contre l'OLP dans le but évident de contrôler la carte palestinienne, de s'imposer en seul acteur et décideur régional, non pas tant pour aller de l'avant dans la lutte contre Israël, mais plutôt pour conforter et consolider son rôle de puissance moyen-orientale.
Quant au Hezbollah, son rôle déstabilisateur chronique au Liban - mais aussi dans certains pays de la région - n'est plus à démontrer. Porte-étendard d'un ambitieux projet extraterritorial, il bouscule les frontières pour tenter d'entraîner non seulement le pays du Cèdre, mais aussi l'ensemble de la région - en bon relais de Téhéran - dans une vision théocratique fondée sur la théorie iranienne de la wilayet el-faqih, l'objectif ultime étant d'édifier une société guerrière engagée dans un conflit sans fin et sans horizon avec Israël et le monde occidental. Du coup, c'est l'essence même de la formule libanaise, la raison d'être, les spécificités et les délicats équilibres politico-communautaires du pays qui sont dangereusement remis en cause par « l'OPA sauvage » lancée par la République islamique sur le Liban.
À la lumière de l'ensemble de ces percées iraniennes dans la zone du Golfe et du Moyen-Orient, prétendre avec Walid Joumblatt qu'il revient aux pays arabes de ne pas se lancer dans une politique de confrontation avec l'Iran reviendrait à inverser l'équation régionale par un stupéfiant tour de passe-passe qui constitue non moins qu'une insulte à l'intelligence des Libanais. À moins que l'on conçoive la politique comme une banale partie de Risk et les rapports avec l'opinion publique comme rien d'autre qu'un exercice médiatique, risible, accessoire et folklorique.
En clair, cet appel de Walid Joumblatt à la raison et au dialogue renvoie pratiquement dos à dos l'Iran et les pays arabes modérés. En d'autres termes, le leader du PSP semble vouloir se maintenir au-dessus de la mêlée et transcender, ou tout au moins occulter, en quelque sorte la nature du conflit d'un genre nouveau qui secoue le Moyen-Orient, sous...