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Lifestyle - Humeur

En chacune de nous, il y a une Mme Bovary…

Michèle AOUN

C'était du temps de nos quinze, seize printemps où l'on se passait furtivement, sous les pupitres, les fameux romans à l'eau de rose, Delly et Louisa Maria Linarès... Ces trésors qu'on s'échangeait subrepticement à l'école étaient souvent confisqués par les sœurs qui nous traitaient de « filles à marier ». C'était une grande insulte à cette époque-là que d'être qualifiées de « filles à marier » parce que « filles à marier » rimait avec « filles de cabaret » dans l'hémisphère gauche du cerveau de nos religieuses bien intentionnées... Car les jeunes filles de notre âge - qui portaient encore des sous-vêtements « Petit Bateau », faut pas l'oublier ! - n'étaient point censées lire ces pages hérétiques où Walter - le prince charmant dans l'histoire - et toujours à la fin de l'histoire, mais vraiment à la fin de l'histoire, et après nous avoir fait saliver et rêver pendant des heures interminables, embrassait finalement la belle Magali sur les lèvres. C'était l'apothéose ! Le point culminant, la scène-clé où notre cœur battait la chamade... Il l'avait finalement embrassée !! Quel bonheur ! Mais, pour les sœurs, on n'était que des filles dévergondées. Et voilà qu'en deux temps, trois mouvements, le livre était confisqué jusqu'à la fin de l'année sans que l'on sût ni comment, ni où, ni quand Walter avait embrassé sa belle dulcinée ! Adieu veau, vache, cochon, couvée... Adieu fantasmes et rêves enflammés !
Alors, on s'énervait. Mais qu'est-ce qu'elles croient, les sœurs, que nous ne savons pas ce que c'est qu'un baiser ? Mais on est grandes et intelligentes et on a déjà embrassé un garçon quelque part, de préférence dans la petite salle de cinéma obscure de notre village, vautrées et collées - genre Stick Uhu - à ses côtés, au coin et à la dernière rangée, dans des fauteuils clubs à soixante-quinze piastres... Mais oui ! On avait déjà fait l'expérience de ce fameux baiser, les lèvres cadenassées, en filles bien averties et sages, de façon à ce qu'aucune langue perverse ne puisse s'aventurer dans notre bouche. À malin, malin et demi ! C'est que, Monsieur, nous ne sommes pas nées de la dernière pluie !   
Mais voilà que, une fois devenues grandes, nous sommes toutes devenues des « Mme Bovary » copiées/collées. Un regard nous fait fantasmer, une parole nous fait rêver et un dîner à deux nous fait monter une histoire de toutes pièces où... « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants... ». Alors on se met à la troisième personne du singulier s'il vous plaît, et on se la joue comme dans un conte de fées pour tomber de haut, quelques mois plus tard, et aller sangloter sur l'épaule d'une amie compatissante qui sait ce que signifie un cœur brisé...
Alors on se souvient de sœur Eugénie et du livre confisqué ! Que diable ! Elle savait tout à propos de la mythomanie et du bovarysme et elle avait voulu nous protéger ! On l'a vraiment mal jugée ! Qu'est-ce qu'on était méchantes les filles ! Courons, courons vite nous confesser !

 

Michèle AOUN

C'était du temps de nos quinze, seize printemps où l'on se passait furtivement, sous les pupitres, les fameux romans à l'eau de rose, Delly et Louisa Maria Linarès... Ces trésors qu'on s'échangeait subrepticement à l'école étaient souvent confisqués par les sœurs qui nous traitaient de « filles...

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