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Culture - Festival In d’Avignon

« Ciels », ou la vengeance des fils contre les pères…

Avec « Ciels », quatrième et dernier opus du « Sang des promesses » - création pour le Festival In d'Avignon 2009, à Châteaublanc, Parc des expositions, jusqu'au 29 juillet -, Wajdi Mouawad embarque les spectateurs dans les arcanes d'une énigme où mathématiques et art s'allient pour mettre en scène la révolte des fils contre les pères, dans une apothéose de violence.

Nourris par un siècle de violences, élevés dans le culte de la beauté, les fils ont une trahison à venger ; une vengeance à assouvir !
Avant que les spectateurs ne rentrent dans la salle, une représentante de l'association Réseau éducation sans frontières (RESF) prend la parole pour sensibiliser les spectateurs au combat que mène RESF qui milite contre l'expulsion des enfants scolarisés dont les parents sont sans-papiers. Ancrer le théâtre dans une réalité sociétale en donnant la parole à cette association semblait relever de l'évidence même, tant cette 63e édition du festival, et particulièrement le travail de Wajdi Mouawad, puise dans les thèmes fondateurs de RESF : exil, guerre, violences, recherche de sens et de racines, etc.  
Au Parc des expositions - aux confins de la zone industrielle d'Avignon -, le décor de Ciels est planté à l'intérieur d'un bâtiment en préfabriqué, comme au centre de nulle part.
La mise en scène implique les spectateurs puisque ceux-ci, installés sur des tabourets, au centre de la pièce, dans un espace qualifié de jardin, figurent les statues - muettes et froides - censées peupler cet espace. Les personnages, isolés du monde, n'ont pour uniques vis-à-vis que ces interlocuteurs censément de pierre. Les quatre murs autour sont tendus de toiles blanches en plastique. Un des murs est occupé par la niche-bureau, espace collectif où se retrouvent les cinq protagonistes ; sur les trois autres murs, des niches-chambres figurent l'espace privé.
Quatre hommes et une femme sont confinés dans cette résidence, hors du monde et de tout contact avec la réalité. Leur mission ultrasecrète : analyser des écoutes téléphoniques et déjouer un attentat terroriste à l'échelle mondiale. Ils ne sont en contact avec les leurs ou le monde extérieur qu'à travers des vidéoconférences.  
Tout se complique quand un de ces hommes se suicide, laissant comme testament un message énigmatique dont la résolution pourrait conduire à préciser la menace terroriste et à éviter les attentats. Faut-il encore arriver à déchiffrer ce message et à accepter d'écouter la vérité qu'il délivre. Au fur et à mesure que l'enquête avance, la tension monte à l'intérieur de cette cellule antiterroriste, où hommes et femme se battent pour sauver des vies... et se débattent pour justifier leur existence. Les comédiens, sous tension pendant 2h30, sont époustouflants.   
La beauté devient prétexte à une folie déchaînée. L'art, l'histoire qui ont nourri les fils les ont métamorphosés en bombes vivantes qui explosent à la gueule de leurs géniteurs.   
La quête de sens et d'infini, qui sauvait le monde dans les trois premiers opus du Sang des promesses (Littoral, Incendies, Forêts, donnés en une seule nuit dans la cour d'honneur du palais des Papes), est la raison qui va dans Ciels perdre ce même monde.
Un groupe de jeunes va organiser un attentat terroriste à l'échelle mondiale pour anéantir justement ce que les pères leur ont légué de plus précieux, le fondement même de toute leur culture. Se baser sur ce riche patrimoine identitaire pour le rejeter avec violence et détermination, c'est affirmer que « le temps des revendications est passé. Voici venu le temps hoquetant », comme l'assène la voix off dans un monologue d'ouverture, dur et définitif.
La guerre d'hier, d'aujourd'hui et de demain est omniprésente. Les sons sont des vagues sonores qui se heurtent contre le récif des murs blanc, pour mieux revenir submerger de leurs résonances les spectateurs pris au piège de cette pièce aux murs immaculés. Et des accusations qui fusent, comme des balles, précises et meurtrières : « Enfantivore !! On appelle ça un État » ; « Le sang, qui ordonne qu'il soit versé ? Les pères. Qui le verse ? Les fils. »
Et sous les Ciels, de quelque latitude qu'ils soient, la violence, qui n'est plus que le fait des pères, mais devient aussi l'affaire des fils, trouvera sa conclusion dans un hurlement - vagissement de naissance ou cri de fin du monde. Et tout sera à recommencer...

* * *

Dans le cadre du Festival In d'Avignon, des rencontres-interviews sont organisées dans la cour du cloître Saint-Louis entre artistes et public.
Wajdi Mouawad a occupé à plusieurs reprises l'estrade. Il était particulièrement sollicité pour Ciels, peu d'éléments ayant filtré sur la pièce avant le début des représentations ; et la billetterie ayant très rapidement écoulé les places disponibles.
Morceaux choisis d'une intervention de plus de 45 minutes.
Dans de nombreuses interviews, Mouawad a affirmé que Ciels viendrait en contre-point de Littoral, Incendies et Forêts, les trois premiers opus du quatuor Le Sang des promesses. Là, il explique, en essayant de ne pas déflorer le suspense, que les différences entre les trois premiers opus et le dernier sont nombreuses : « Dans Ciels, j'ai éprouvé la nécessité de sortir de la dictature familiale qui était mise en scène dans les trois premiers opus. Mais également d'une sorte de dictature qu'impose chaque univers de création. J'ai voulu casser ce cadre bien structuré dans lequel j'étais dans les trois premières pièces. » De plus, poursuit-il, « Ciels a été un objet récalcitrant qui mettait en scène - à l'inverse de ce qui se passait dans les trois autres pièces - le monde puis l'intime. Dans Ciels, il n'y a pas de consolation, pas de rémission - contrairement à ce qui se passait dans la trilogie. Ce dernier opus est du coup, et toujours contrairement aux autres, très déstructurant. »
Toujours faisant le parallèle entre Ciels et  Littoral, Incendies et Forêts, Wajdi Mouawad explique s'être rendu compte « des naïvetés contenues dans les trois premiers opus. Comme si je réalisais qu'avec Ciels, je cessais de croire à quelque chose qui me tenait depuis longtemps. Avec Ciels, le théâtre n'a fait que m'éloigner du monde de l'enfance. D'autant plus que ça se termine pour moi ».
Wajdi Mouawad clôt un cycle de création. La boucle du théâtre est bouclée « sur un rapport solitaire, déstabilisant », affirme-t-il.
Dans Ciels, la narration est toujours là, mais la peinture est omniprésente, quel rapport entretient-il avec la peinture ? « D'abord un rapport ludique. Quand je peins, c'est jamais avec des pinceaux, mais avec les mains, les pieds, la tête », lance-t-il. « Ensuite, j'ai un rapport littéraire à la peinture : je regarde un tableau comme on lit un livre. C'est-à-dire d'un point de vue symbolique, pas avec les yeux d'un historien de l'art. »
Avec « Ciels », quatrième et dernier opus du « Sang des promesses » - création pour le Festival In d'Avignon 2009, à Châteaublanc, Parc des expositions, jusqu'au 29 juillet -, Wajdi Mouawad embarque les spectateurs dans les arcanes d'une énigme où mathématiques et art s'allient pour mettre en...

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