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Culture - Festival de Baalbeck

Deep Purple fait rocker Baal et Jupiter…

Samedi, Deep Purple a bousculé la torpeur cosmique et ancestrale dans laquelle étaient plongés Jupiter, Bacchus, Baal, et tous les dieux et divinités qui errent ou se reposent entre les pierres plusieurs fois millénaires de Baalbeck.

Balayés en quelques instants, toutes les convenances, tout le protocole du festival, au grand désespoir d'une organisation - et d'une sécurité - vraisemblablement confrontées pour la première fois à un vrai concert de hard-rock, et surtout à un public aussi indomptable et infatigable que les dinosaures du groupe eux-mêmes... C'est en effet un véritable délire collectif, un énorme feu de joie que la formation britannique a allumé derrière les colonnes du temple de Jupiter, générant ce splendide chaos, ce renversement ultime de l'ordre de l'âme qui caractérise les grands moments de rock. Rien à voir avec le passage de Deep Purple il y a un peu plus de dix ans au Mont La Salle. Derrière les colonnes géantes de l'immense Jupiter, tout est différent, démesuré, relatif, grandiose, incomparable, unique : cela, Ian Gillan et ses compagnons, vieux routiers du rock britannique et qui ont usé leurs instruments sur tant de sites à travers le monde, l'ont immédiatement saisi et compris.
À peine quelques instants après l'entrée des musiciens sur scène, il n'a en effet fallu que les toutes premières secondes de la première ligne de basse de Roger Glover annonçant un cataclysmique et sublime Highway Star pour qu'un public très nombreux et littéralement déchaîné abandonne illico presto les places assises pour aller se jeter devant Gillan et le guitariste, Steve Morse. Il n'en faut pas bien plus pour comprendre que ce qui va suivre sera à la fois la plus merveilleuse des surprises et un très grand concert. Ces quelques instants déterminent en effet tout le spectacle : durant toute la durée de Highway Star, l'une des chansons-cultes du groupe, Deep Purple ne laisse pas le moindre instant de répit ou de méditation à son audience : il s'agit d'une invitation immédiate au trip sonore, géniale et sans concessions, qui ne saurait tolérer d'aucune manière le moindre doute ou la moindre réflexion sur la célérité des cinq sexagénaires sur scène. Leur envie de jouer devant le public libanais, et tout particulièrement en ces lieux chargés spirituellement et historiquement, est nettement perceptible, et énormément communicative. Gillan, visiblement très amusé - ravi même, au même titre que Glover et le guitariste Steve Morse - par le désarroi total et la panique des agents de sécurité et des organisateurs devant le joli désordre qu'il vient de contribuer à créer devant la scène, et littéralement heureux d'être là, se laisse aller à quelques confidences, fait le panégyrique du public libanais et avoue qu'il ressent « d'excellentes vibrations » sous l'effet de Jupiter...
En fait, c'est à se demander qui surprend l'autre : le public libanais Deep Purple, avec sa ferveur et sa dévotion, ou le groupe ses fans avec son enthousiasme débordant et sa nouvelle jeunesse... ? Car Deep Purple semble plus que jamais jeune. Bien plus jeune que lors de son précédent passage, il y a une dizaine d'années, dans le cadre de la tournée qui avait suivi l'album Purpendicular. Ian Gillan semble lui-même sortir d'une cure de jouvence : cheveux courts, svelte et athlétique, sourire aux lèvres, il donne vraiment le meilleur de lui-même dans le cadre d'un duo avec Steve Morse sur Strange Kind of Women, et parvient même, l'espace de quelques secondes, à retrouver sa voix stridente de prédilection d'il y a quarante ans. Mais ses temps de « hurleur » sont bien révolus, et il est bien plus à l'aise sur le répertoire récent de Deep Purple plutôt que sur les chansons de ce qu'il désigne lui-même et sans complexe  comme étant le « Moyen Âge », à savoir le début des années 70. Aidé du magnifique Roger Glover - si tout le monde pouvait vieillir comme lui -, de l'énergique Steve Morse, du grand batteur Ian Paice,  et du successeur de Jon Lord aux claviers, Don Airey (qui a à son palmarès des groupes aussi prestigieux que Rainbow, Whitesnake, Jethro Tull ou Judas Priest), Gillan réussit l'impossible : insuffler un nouveau souffle à un groupe qu'on n'en finit pas de vouloir considérer comme usé et dépassé... Grave erreur ! Deep Purple déchaîne les passions à Baalbeck : les jeunes se jettent sur scène pour esquisser un pas de danse avec Gillan ou prendre une photo avec Glover, aussitôt surpris par une sécurité constamment prise au dépourvu. Mais c'est Airey qui crée une véritable surprise et rafle tous les suffrages en pianotant longuement la mélodie de Bhebbak Ya Loubnan de Feyrouz.
L'espace d'un concert, c'est une véritable idylle tumultueuse, passionnée, hautement électrique et bénie des dieux qui naît entre Baalbeck et Deep Purple. Le temps pour le groupe d'enchaîner des classiques comme Fireball, Wring That Neck, Perfect Strangers ou Space Truckin', et des œuvres mineures et plus récentes comme Sometimes I Feel Like Screaming, The Battle Rages On ou Rapture of the Deep. Avec, en apothéose, la mythique Smoke on the Water, qui fait invariablement bouger tout le monde, de 7 à 77 ans. Mais Deep Purple ne veut pas quitter aussi rapidement une ambiance aussi extraordinaire et électrifiante. Le quintette reviendra une fois encore pour reprendre ses deux premiers hits des 60's, Hush et Black Night, accompagné par un public en effervescence. Une nuit chaotique et délirante que le panthéon des dieux de Baalbeck n'oubliera pas de sitôt, et qui se termine par une bataille cosmique épique de coussins volants dans les cieux profondément empourprés du temple de Jupiter...
Samedi, Deep Purple a bousculé la torpeur cosmique et ancestrale dans laquelle étaient plongés Jupiter, Bacchus, Baal, et tous les dieux et divinités qui errent ou se reposent entre les pierres plusieurs fois millénaires de Baalbeck. Balayés en quelques instants, toutes les convenances, tout le protocole du festival, au grand désespoir...

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