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Culture - Festival d’Avignon

Des instants de vérité… tels des oasis dans le désert

Dans un Avignon écrasé de chaleur, l'église des Célestins, avec ses épais murs en pierre, apparaît comme un véritable havre de fraîcheur ; d'autant plus propice à la réflexion à laquelle s'adressent Joana Hadjithomas et Khalil Joreige qui présentent, dans le cadre du 63e Festival In d'Avignon, «Tels des oasis dans le désert ».
À travers huit installations vidéo et photos, nichées de-ci de-là dans les renfoncements de cet édifice en ruines ou en suspens - impossible de trancher -, les deux artistes - cinéastes, vidéastes et photographes - invitent à un voyage à travers l'histoire de leur ville, Beyrouth, de leur pays, le Liban. Une histoire qu'ils veulent toute en questionnement, loin des certitudes et des préjugés. Pour ce faire, ils travaillent d'ailleurs à deux, car « quand on est seul, on peut toujours se mentir à soi-même ; à deux, c'est plus compliqué », affirment-ils.
Passée la porte de l'église, et après quelques instants d'accoutumance à la pénombre, le spectateur se retrouve face à une grande photo, vue aérienne de Beyrouth, qui occupe toute la partie centrale de l'église. Cette première installation, « Cercle de confusion », présente donc une photographie de 4 m x 3, point de vue aérien de Beyrouth datant de 1997, période faste de reconstruction. Cette photo a été collée sur un miroir, puis découpée en 3 000 morceaux, numérotés et marqués par la phrase « Beyrouth n'existe pas ». Le visiteur est invité à détacher ces morceaux, laissant libres des pans de miroir. Entre les morceaux, c'est le propre reflet du visiteur qui apparaît. Dans ce « Cercle de confusion », le visiteur voit aussi bien une ville que son propre reflet, tous deux morcelés et grignotés. Pour l'installation à Avignon, les deux artistes ont placé une caméra qui capture les mouvements des visiteurs et les retransmet en direct sur un écran de même dimension que la photo. Une création en direct...
Au fond de cette nef centrale, « Wonder Beirut », ou l'histoire d'un photographe pyromane, brûlant les photos de la splendeur passée de la ville, au rythme « des batailles des hôtels » qui ont détruit le centre-ville pendant les guerres civiles du Liban.
À droite, « Lasting Images » (Images rémanentes), film en super 8, tourné dans les années 80, par un parent de Khalil Joreige, kidnappé, jamais revenu. Ces trois minutes d'images « neigeuses » et de sons étouffés donnent l'impression d'une vie en partance que la caméra tente par un effort surhumain de retenir... On reste rivé à cet écran, comme dans l'espoir de voir surgir un visage, une voix...
Un peu plus loin, dans cette travée, un film muet, Toujours pour toi et « Faces », des photographies et des dessins. Le film muet dégueule sur six minutes des images tournées pendant la campagne législative de 2000 : calicots, affiches et portraits bouffent littéralement l'espace public. Pas un pan de mur, pas un espace entre deux immeubles qui n'en soit recouvert. Les affiches se superposent, s'étouffent les unes les autres, se nient... Une profusion qui va à l'encontre même du but recherché. Avec « Faces », des photos de martyrs, altérées par le temps, s'étalent sur les murs décrépits...

Plus de traces de Khiam...
À gauche de l'espace central, au fond d'une petite alcôve, « Trophées de guerre » sont des photographies de véhicules de guerre abandonnés par l'armée israélienne au moment de son retrait en mai 2000. Ces photos, exposées un temps au camp-musée de Khiam, ont été détruites avec la destruction du camp lors des bombardements israéliens de juillet 2006.
À gauche, dans un espace plus ouvert, sur deux écrans placés côté à côte, deux films de 52 minutes chacun, dévident, en même temps, la mémoire du camp de Khiam (camp de détention situé au Sud du Liban, dans la zone occupée par Israël et par sa milice supplétive, l'armée du Liban-Sud). Le premier film présente les témoignages de six détenus au moment de leur libération ; le deuxième film présente les même six détenus qui témoignent 7 ans plus tard, après la destruction du camp - et des traces des lieux de leur calvaire - par l'armée israélienne en juillet 2006.
L'installation vidéo Khiam 2000-2007 va donner, à travers une neutralité cinématographique (caméra et cadre fixes) et les récits de ces anciens détenus, une image précise du camp de Khiam. Ce camp dont l'existence n'est aujourd'hui plus etayée ni par des preuves photographiques ni par une preuve physique. Ces témoignages bruts viennent en appui d'une mémoire, unique moyen de résister face au déni ou à l'oubli...
En face, Ansar, Recto/Verso, installation photo et vidéo, sur les traces d'un autre camp de détention. Ansar est un camp dont les traces ont disparu et sur le site duquel fleurit aujourd'hui un parc d'attraction, un terrain de foot, une piscine pour femmes et un zoo... Comment fait-on l'histoire quand les traces ont disparu ?
Le titre de l'exposition, Joana et Khalil l'ont tiré, comme ils l'expliquent, dans le dépliant de présentation de l'installation, d'une citation de Hannah Arendt (philosophe allemande ayant travaillé sur le politique et le totalitarisme) : « À défaut de vérité, nous trouverons des instants de vérité et ces instants sont en fait tout ce dont nous disposons pour mettre de l'ordre dans ce chaos d'horreur. Ces instants surgissent à l'improviste, tels des oasis dans le désert. »
À travers huit installations vidéo et photos, nichées de-ci de-là dans les renfoncements de cet édifice en ruines ou en suspens - impossible de trancher -, les deux artistes - cinéastes, vidéastes et photographes - invitent à un voyage à travers l'histoire de leur ville, Beyrouth, de leur pays, le Liban. Une histoire qu'ils veulent...
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