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Bientôt une loi pour pénaliser la violence exercée contre la femme

Témoignages

Rana : « Je me tais, parce que j'ai peur de perdre mes enfants »

Il y a douze ans, un beau soir de septembre, Rana a cru qu'elle allait vivre son conte de fées éternellement. En robe blanche, près de son mari, elle avait cru que leur amour était plus fort que les aléas de la vie. Il lui a fallu quelques mois pour retourner à la réalité.
« Quand je repense à notre relation, je me rends compte qu'il a toujours été violent et agressif, même avant notre mariage, raconte Rana, 42 ans, architecte. À l'époque, je pensais que les préparatifs du mariage le rendaient nerveux, d'autant qu'il est très pointilleux. Mais aujourd'hui, je sais qu'il cachait bien son jeu. »
Depuis douze ans que dure son mariage, Rana ne connaît que l'humiliation, l'arrogance et la maltraitance. « J'ai essayé à plusieurs reprises de comprendre ce qui se passait, mais en vain, confie-t-elle. Si j'ose aborder le problème, il se met à crier et à casser tout ce qui lui tombe sous la main. Il ne cesse de me répéter qu'il est "l'homme de la maison" et que par conséquent, c'est sa "loi" qui doit y être appliquée. Mais ce qui me dérange, c'est qu'il se montre charmeur et bienveillant avec tout le monde - même les membres de ma famille -, mais lorsqu'il s'agit des enfants ou de moi, il devient un tout autre personnage. Il est insultant, violent et raciste. Il ne rate pas une occasion de me sortir une remarque désagréable. »
Au fil des ans, il devenait plus agressif. « En plus des insultes, il a commencé à me jeter à la figure tout ce qui lui tombait sous la main, un cendrier, un coussin, un couteau, même des chaussures ». « Il a même menacé de briser tout ce qui m'appartenait et de déchirer ma garde-robe, poursuit Rana. Jusqu'à une période récente, il n'a jamais osé franchir la ligne rouge et me frapper. Depuis quelques mois, il le fait. »
Au début, Rana ne voulait pas mêler ses parents à l'affaire. « Après tout, c'est moi qui avais pris le choix de vivre avec cet homme, affirme-t-elle. Mais après deux ans de mariage, la situation étant devenue insupportable, j'en ai parlé à ma mère. Sa réaction m'a étonnée. "Écoute, m'avait-elle dit, dans notre famille personne n'a jamais divorcé. Ne sois pas celle qui va salir le nom de la famille. Fais-toi un enfant, il changera." »
Abasourdie par une telle réaction, « d'autant que je comptais sur l'appui de ma mère pour entamer les procédures de divorce », Rana s'est résignée. « J'ai voulu lui donner encore une chance avant de prendre ma décision. Mais le hasard a voulu que je tombe enceinte de notre fils. Entre-temps, il s'était calmé et était redevenu presque normal. Mais après mon accouchement, le démon qui dormait en lui a ressurgi et le cycle infernal a repris. Deux ans plus tard, j'accouchais des jumelles. Ma grossesse était encore une fois le fruit du hasard, puisqu'il me répugnait et que je l'évitais autant que possible. Au fait, je suis tombée enceinte après cette nuit où il m'avait presque violée. »
À plusieurs reprises, Rana a essayé de demander le divorce. « Mais il menaçait toujours de m'enlever les enfants, note-t-elle. Il est capable de le faire, bien qu'il n'ait jamais été impliqué dans leur éducation. Il ne leur accordait son attention qu'en public, pour montrer combien il était attentionné, et ne leur adressait la parole que pour leur raconter des méchancetés sur moi. »
Aujourd'hui, en son for intérieur, Rana se considère comme une femme divorcée. « Nous faisons chambre à part, note-t-elle. Heureusement pour mes enfants et pour moi, il est appelé à voyager très souvent pour suivre ses affaires à l'étranger. Seule la présence de mes enfants me pousse à me taire, à accepter l'humiliation et la situation infernale où je vis. D'autant plus que je gagne bien ma vie et n'ai nullement besoin de son argent. Mais j'ai peur de les perdre, puisque dans ce pays, la femme n'a aucun droit. Il n'y a malheureusement aucune loi qui nous protège et qui nous garantit notre droit de garder nos enfants. Si, par ailleurs, je ne le quitte pas, je sais que je passerai le restant de ma vie malheureuse. Je suis perdue. »

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Malak : Mon calvaire n'a pas de fin


Malak avait pensé qu'elle allait vivre heureuse avec son mari, un homme riche issu d'un milieu aisé. Sa belle-famille l'a rejetée dès le début, mais elle faisait fi de leur attitude, convaincue qu'elle allait bénéficier de la protection de son mari. Mais que s'est-il passé en vérité ?
Assise dans son coin, les mains frêles posées sagement sur ses genoux, elle raconte : « Mon mari a commencé à me battre dès les premiers jours de notre union. Il me tenait par les cheveux et me lançait contre le mur. Puis, il m'a interdit de quitter la maison et même de visiter ou de recevoir mes parents. J'ai réclamé le divorce à plusieurs reprises, et il a fini par me l'accorder verbalement. Je suis alors rentrée chez mes parents. »
Le mari étant musulman, il fallait que le divorce soit prononcé devant le tribunal religieux, ce qui a nécessité cinq longs mois. « J'ai dû par la suite intenter un procès pour réclamer une pension alimentaire pour mon fils, poursuit Malak. Au terme de plusieurs va-et-vient au tribunal, le juge a fini par m'accorder 150 000 LL par mois, estimant qu'il s'agissait d'une bonne somme. Mais de qui se moque-t-il ? Tout le monde sait qu'un enfant a besoin d'au moins 300 000 LL par mois, auxquelles s'ajoutent, dans le cas de mon fils, les frais des séances de psychothérapie. J'ai alors rassemblé tous les documents nécessaires prouvant que mon ancien mari est aisé et j'ai intenté un nouveau procès. Le juge a alors augmenté le montant de la pension à 300 000 LL. » Refusant de payer, l'ex-conjoint a eu recours à la cour d'appel et a déclaré qu'il n'avait pas les moyens. « Le juge l'a cru sur parole et a rabaissé le montant de la pension à 200 000 LL, malgré les documents que j'avais en ma possession et qui prouvaient le contraire, regrette-t-elle. "Cela vous suffit", m'a-t-il lancé. »
Furieuse, Malak a demandé à rencontrer le président du tribunal qui « n'a voulu rien entendre, me conseillant d'intenter un nouveau procès pour une augmentation du montant de la pension alimentaire ».
Le calvaire de Malak dure depuis trois ans. « Jusqu'à présent, le tribunal ne s'est pas prononcé en ma faveur, regrette-t-elle. Entre-temps, mes dettes s'accumulent. Mon ex-mari refuse d'entendre raison. "Je veux t'humilier et ton enfant aussi", m'a-t-il annoncé un jour. Et c'est ce qu'il est en train de faire, parce que non seulement il nous a coupé les vivres, mais lorsqu'il prend mon fils chez lui, une fois par semaine, il se plaît à l'humilier et à le battre. Il est même devenu plus violent, lorsqu'il a su qu'il suivait une psychothérapie. Au tribunal, ils me demandent des preuves à chaque fois sur la violence. Ils refusent de prendre en considération le témoignage de mon fils, parce qu'il est mineur, prétextant que je lui ai appris quoi dire. Lorsque je leur ai annoncé qu'il est battu, ils m'ont répondu : "C'est son père." »
Et Malak de conclure : « Il me semble que mon calvaire n'a pas de fin. »

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« Chez nous, c'était le silence »


Dans son premier roman, Chez nous, c'était le silence, Roula Azar Douglas, journaliste libano-canadienne, rend hommage à la mémoire d'une amie, Ghada, victime de la violence conjugale... jusqu'à la mort.
« Au début, je croyais que le cas de Ghada était unique, mais en me documentant, j'ai constaté qu'il existe des points communs à toutes les histoires, explique Roula Douglas. Leur drame commence toujours lorsque le mari les isole et leur interdit tout contact avec le monde extérieur. »
C'est exactement le cas de Ghada qui, à 18 ans, s'est unie avec Pierre, de plusieurs années son aîné, mais qui a su la séduire. « Pierre a piqué sa première crise de violence durant la première grossesse de Ghada, poursuit Roula. Avant, il criait et s'énervait, et Ghada avait toujours pensé qu'elle était fautive et que c'était ses comportements qui l'agaçaient. » Elle a été alors voir son père pour lui demander de l'aider. Ce dernier a refusé, parce qu'il ne voulait pas de « scandales ».
« Lorsque j'ai écrit le livre, je voulais aider les femmes victimes de la violence, surtout conjugale, à se battre à fond pour obtenir leurs droits, tout comme mon amie », note Roula. Mais la vérité est tout autre. En effet, Ghada décède des suites d'un cancer du sein diagnostiqué à un stade avancé. « Pierre la maltraitait au point de ne plus l'aimer et de négliger sa santé, dit Roula. Lorsqu'elle a senti la masse dans son sein, elle l'a ignorée et ne s'est décidée à consulter un médecin que lorsqu'il était trop tard. »
« Souvent, les hommes violents sont charmeurs et charmants avec les autres, constate-t-elle, ce qui pousse les étrangers à blâmer la femme du comportement de son mari. C'est ce qui s'est passé avec Ghada, et c'est l'un des aspects dangereux de la violence conjugale. Il est important que les gens sachent que la femme n'est pas responsable de cette violence. J'estime qu'elle doit prendre son courage à deux mains et entamer une démarche pour se libérer de l'emprise de son agresseur. C'est le message que je voudrais faire parvenir à toutes les femmes victimes de violence. Il faut qu'elles soient conscientes qu'elles ne sont pas responsables de cette violence et que ce ne sont pas elles qui l'ont provoquée. »
Rana : « Je me tais, parce que j'ai peur de perdre mes enfants »Il y a douze ans, un beau soir de septembre, Rana a cru qu'elle allait vivre son conte de fées éternellement. En robe blanche, près de son mari, elle avait cru que leur amour était plus fort que les aléas de la vie. Il lui a fallu quelques mois pour retourner...