Le coup de l’éventail

Les bouffées de chaleur qui enveniment nos jours et nos nuits dès l'âge de la ménopause, hélas rebelles à tout traitement non hormonal, peuvent être mises en échec par quelques coups d'éventail. Ainsi, caché au fond de nos sacs, il reste une arme redoutable pour en limiter les dégâts sur nos brushing et maquillage. Quant à nos chères lectrices, à la jeunesse éternelle, si elles utilisent l'éventail, ce n'est que par pure coquetterie...Et elles ne sont pas les premières ! En effet, l'éventail fut le complément indispensable de la toilette des belles d'autrefois... L'Égypte ancienne, la Grèce antique, le Japon, l'Inde, la Chine en firent usage, dès les temps les plus anciens. Beaucoup de représentations et de récits l'attestent. En Chine, qui en possède le plus ancien exemplaire, datant du VII siècle avant J.-C., il réglait les rites de la politesse et du savoir-vivre, jusqu'à l'aumône faite au mendiant que l'on tendait sur un éventail. Au Japon, c'est un accessoire indispensable dans le théâtre nô et c'est à un artisan japonais que l'on doit l'éventail pliant, le Sensu, inspiré des ailes des chauves-souris. Ce sont les Portugais, de retour du Japon en 1540, qui en répandirent l'usage en Europe, et Catherine de Médicis l'introduisit en France. Ce n'est qu'en 1830 que la fabrication espagnole se développa et Valence en devient le centre incontesté. Il y est toujours objet culte et accessoire indispensable de la danseuse de flamenco... Les grands peintres l'ont utilisé comme support à leurs œuvres (Manet, Renoir, Pissaro, Gauguin...). Avec ou sans manche. Pliant ou pas, en queues de bœuf ou de cheval, plumes de paon ou d'autruches, minces tablettes de bois, bambou ou tissus, selon les formes et les matières, on passait de la facture la plus simple au véritable bijou.
Si l'éventail fut un objet utilitaire dans les pays chauds (notamment pour chasser les mouches et s'éventer), une arme de coquetterie ou encore objet de fantaisie, il n'en fut pas moins l'objet d'un affront... En effet, à la fin du XVIIIe siècle, la France révolutionnaire se fournit en Algérie en grains, viandes salées et cuir pour ravitailler ses armées. Le gouvernement français diffère, année après année, le paiement d'une dette contractée lors d'achat de blé en 1794-1796 et évaluée à 7 millions de francs. À partir de 1818, les relations avec le dey d'Alger, Hussein Pacha, se tendent. Il conteste l'établissement de comptoirs de commerce français sur les côtes d'Algérie, il réclame l'augmentation des redevances payées par ceux-ci et exige le paiement de la dette. Il écrit au ministre des Affaires étrangères de France, le baron de Damas. En vain. Quand, le 29 avril 1827, le consul de France, Pierre Deval, se rend chez le dey pour lui présenter les compliments d'usage à la veille de la fête religieuse du baïram, mais aussi pour protester contre les actes de piraterie dont sont victimes les navires qui croisent aux larges des côtes d'Afrique du Nord, le ton monte entre eux. Le dey traite Deval de méchant et d'infidèle, et lui assène trois coups violents sur le corps avec le manche de son éventail avant de le chasser. Le dey refuse de présenter les excuses que la France exige. Le gouvernement de Charles X réplique par le blocus d'Alger puis, au terme de trois années d'hésitation, il lance, le 14 juin 1830, la conquête de l'Algérie qui ne prendra fin qu'en 1962 au terme d'une longue guerre...
Dans le riche « langage de l'éventail » en usage aux siècles précédents, où l'on exprimait aussi bien le mépris, la haine que l'amitié et l'amour, d'un simple geste, si je suspends mon éventail à ma main droite, c'est pour vous dire « au revoir ».