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Nos Lecteurs ont la Parole - Droit de réponse

Regardons vers l’avenir ; priorité à la réforme

Par Nicolas Maurice SEHNAOUI
Comme chaque année le 21 mars, le réveil est difficile parce que cette date anniversaire nous rappelle à moi et à ma famille que ma mère Mouna Bustros n'est plus là depuis cette soirée du 6 août 1989 où un obus syrien l'a emportée alors qu'elle regardait tranquillement la télévision dans sa demeure à Achrafieh.
Mais hier, le sort ou les mauvaises intentions ont voulu que notre journée soit encore plus douloureuse vu que nous avons découvert avec stupeur et tristesse l'article dans lequel M. Makhoul s'est permis de flétrir sa mémoire en  modifiant son histoire.
Répondre à un journaliste pour un homme public, même lorsqu'il est dans son droit, n'est jamais aisé. Alors répondre à une dizaine de journalistes et de lecteurs pleins de hargne pour le mouvement et les idées qu'on défend est encore plus délicat. Enfin, on ne choisit pas toujours ses batailles, surtout qu'il y en a qu'on doit mener, quelles qu'en soient les conséquences. Je me lance donc dans cet exercice périlleux mais nécessaire, résolu à m'élever au-dessus de la boue et des flétrissures, et déterminé à adresser les questions de fond qui sont, après tout, les causes de la vindicte ou au moins de l'incompréhension qui nous est opposée par certains.
Je profite donc ouvertement et sans honte de ce droit de réponse pour m'adresser aux lecteurs de L'Orient-Le Jour qui ont si peu l'occasion d'entendre notre point de vue, dans une tentative que j'espère fructueuse de leur expliquer nos objectifs, nos priorités et notre feuille de route. Les lecteurs excuseront l'effort de synthèse imposé par l'étroitesse et la rareté de la tribune en ce qui me concerne. Je demande cependant au lecteur de garder deux choses à l'esprit tout au long des lignes qui suivent :
1- La politique est l'art du possible et
2- Plus la force dont on dispose est petite pour influer sur le cours des événements et plus le jeu des priorités devient crucial pour réussir. Qui trop embrasse mal étreint. Nos objectifs communs étant nombreux, il faut donc les classer par ordre de priorité sous peine de demeurer des spectateurs dans l'équation compliquée qui est la nôtre.
Oui, la souveraineté était la priorité absolue durant les années d'occupation. Et nous avons été heureux et peu méfiants lorsque nous avons été rejoints en fin de parcours par les bénéficiaires de l'accord américano-syro-saoudien qui nous a valu 15 ans d'occupation. Cependant, nous avions pensé, comme l'aurait voulu l'évidence, qu'après avoir été maintenus à l'écart en tant que force politique, si ce n'est communautaire, durant 15 années d'occupation, nous aurions été invités à participer sur un pied d'égalité une fois l'occupation terminée. C'était sous-estimer la volonté hégémonique de nos nouveaux camarades, qui n'ont voulu en 2005 ni changer la loi Kanaan ni compenser à notre intention les sièges qu'elle nous subtilisait. Allant au contraire jusqu'à préférer nouer un accord tripartite avec Amal et le Hezbollah, avec lesquels nous n'étions, à l'époque, nullement liés. Idem lors de la formation du gouvernement où la majorité actuelle a préféré octroyer les sièges au président Lahoud plutôt que de nous inviter à la table du pouvoir.
Nous aurions pu vivre avec cette nouvelle mise à l'écart si les choses n'allaient pas prendre une tournure bien plus inquiétante. Après le retrait du dernier soldat syrien, nous imaginions, encore une fois naïvement, que la priorité pour toutes les forces dites souverainistes serait la réforme. C'était sans compter avec les agendas extérieurs et sur leurs pressions centrifuges, qu'il nous a fallu à tout prix compenser pour protéger la paix civile.
Oui, nous pouvons dire sans aucune honte, puisque nous le disions déjà quand les obus de 240 s'abattaient sur nous et que nous enterrions nos morts en 1989 : lorsque le dernier soldat syrien sera parti, nous tournerons la page et aurons avec la Syrie les meilleures relations. Oui, nous avons démontré à la Syrie ce que nous lui disions en pleine occupation, que ses meilleurs alliés lorsqu'elle sera partie seront les résistants qui refusaient de se soumettre à son joug et non ses vassaux qui se retourneront contre elle. Nous avons refusé que le Liban soit utilisé comme base pour faire chuter son régime ou pour la déstabiliser. Nous avons saisi cette chance en or de démontrer que le Liban n'était pas condamné à être le ventre mou de la Syrie à condition que celle-ci lui reconnaisse son indépendance. Et soyez certains que tous les Libanais vont cueillir les fruits de cette nouvelle confiance, de ce nouveau pacte noué pour tous les Libanais par le Courant patriotique libre avec notre puissante voisine.
Oui, nous pouvons affirmer sans honte que nous avons soutenu la communauté chiite dans son ensemble contre une tentative de mise à l'écart et de marginalisation, puis contre une opération de quasi-épuration ethnique menée par l'armée israélienne. Vous avez tous entendu sans doute le chef de cette communauté déclarer à la télévision sous forme de testament que la dette qu'ils avaient envers nous était une dette qui resterait jusqu'à la résurrection des morts. Oui, cette participation au pouvoir, cette place à la table de l'Exécutif et du Législatif (Achrafieh en particulier devrait le savoir puisque c'est grâce à notre effort et à notre entêtement qu'elle pourra choisir elle-même, pour la première fois depuis 1972, ses représentants) nous l'avons gagnée pour nous et pour vous, en affrontant toutes les calomnies, toutes les accusations de traîtrise venant de l'Occident ami et de l'Orient arabe et, pire, de la part de certains de nos plus proches concitoyens. Nous avons également affronté d'autres choses que l'Histoire dévoilera les détails en temps voulu.
Aujourd'hui, ces acquis sont là et nous pouvons tous en profiter. Je vous exhorte à regarder vers l'avenir. Entre 2009 et 2013, la priorité doit enfin être à la réforme. Seule la réforme est capable d'arrêter l'hémorragie de l'émigration, qui est le plus grand mal dont nous souffrons. Une fois la stabilité assurée, nous avons identifié trois causes principales à l'émigration : le modèle économique qui est celui de la rente et qui ne crée pas suffisamment d'emplois, la corruption et la déliquescence des institutions qui obligent les citoyens à mendier les services qui devraient leur être assurés de plein droit, et le déséquilibre communautaire au sein de l'Exécutif qui fait croire à de nombreux chrétiens qu'à l'avenir ils n'auront plus de place dans ce pays.
Enfin, en anticipation des nombreux courriers et articles qui viendront, j'en suis certain, déverser des logiques différentes je vous prie de garder à l'esprit que les martyrs vivants et morts sont présents dans tous les camps, que les nôtres sont légion et que les martyrs ne sont la propriété de personne.
Que le Général n'a ni abandonné les principes souverainistes ni rejoint l'axe du mal et que cette vision simpliste des choses vise pour la énième fois à nous instrumentaliser, nous les Libanais et nous les chrétiens au premier plan.
Que si tel devait être le cas, les premiers à l'abandonner auraient été nous autres, parents des martyrs et officiers et soldats détenus et torturés par les Syriens après le 13 octobre. En lieu et place, nous formons autour de  lui le cercle le plus étroit et le défendons de nos corps.
Que la neutralisation militaire des régions chrétiennes au cours des quatre dernières années a été acceptée par nous. Preuve en est la charte d'honneur proposée par le patriarche et signée par nous et qui demeure à ce jour orpheline de deux signatures : celle des Forces libanaises et celle des Kataëb.
Que l'union des chrétiens, objectif semble-t-il communément recherché et démocratiquement partagé par les pro et par les anti, faute de rester une utopie, a fait l'objet d'une proposition concrète de notre part. Proposition toujours valable qui stipule que les chrétiens gardent leurs différentes couleurs, mais acceptent de se faire représenter dans le pouvoir exécutif par le groupe ayant obtenu la majorité aux élections, et ce jusqu'aux prochaines échéances. Puisque dans vos lignes nous lisons toujours que l'opposition chrétienne ne dispose plus que d'un faible soutien populaire, cette proposition aurait dû être acceptée immédiatement par l'autre partie.
Que nous ne sommes pas le 8 Mars mais bien le 14 puisque, si vous avez participé à nos côtés à la manifestation du 14 mars 2005 pour le retrait syrien, nous avons manifesté 14 fois auparavant seuls, bien seuls, contre les forces d'occupation.
Bien à vous,
Comme chaque année le 21 mars, le réveil est difficile parce que cette date anniversaire nous rappelle à moi et à ma famille que ma mère Mouna Bustros n'est plus là depuis cette soirée du 6 août 1989 où un obus syrien l'a emportée alors qu'elle regardait tranquillement la télévision dans sa demeure...

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