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Les Libanais peuvent désormais taire leurs appartenances confessionnelles

Les Libanais peuvent désormais taire leurs appartenances confessionnelles

S'ils parviennent à rassembler une centaine de milliers d'adhérents, nous serons véritablement dans le cas d'une réforme révolutionnaire. Par contre, si l'initiative reste confinée à une minorité, la décision pourra avoir un effet boomerang. Ce n'est pas d'un nouveau parti politique qu'il s'agit, mais d'une « nouvelle communauté » qui vient de naître au Liban, celle-là même qui refuse justement de déclarer son appartenance confessionnelle, et de s'afficher - publiquement - comme relevant de l'une des vingt communautés en présence.

La naissance de cette nouvelle catégorie de citoyens a été consacrée le jour où un groupe d'intellectuels et d'activistes, parrainés par le Centre civil pour l'initiative nationale, ont décidé de présenter officiellement au ministère de l'Intérieur une requête qui a pour objectif de consacrer leur droit constitutionnel de « ne pas déclarer aux services de l'état civil leur appartenance communautaire » qu'ils voudraient voir rayer de leur fiche administrative.
Ils ont obtenu théoriquement gain de cause après l'adoption par le ministre de l'Intérieur, Ziyad Baroud, d'une circulaire administrative ordonnant aux services de l'état civil de se plier aux desiderata de ceux qui désirent taire leur appartenance communautaire.
Présentée à une date on ne peut plus symbolique, soit le 13 avril 2007, jour de la commémoration du début de la guerre civile, la requête devait notamment se fonder sur un avis préalablement émis par le département de consultation et de législation au ministère de la Justice. En se prononçant favorablement sur la requête, cette instance n'a fait que consacrer une série de précédents juridiques et de décisions dont la plus ancienne remonte au temps du mandat français (décision n° 60 RL). Celle-ci prévoit notamment la liberté de pouvoir se libérer de sa confession d'appartenance ou de changer de communauté. Ce texte, vieux de 73 ans, qui organise les communautés religieuses au Liban prévoit également la mise en place d'une loi civile pour tous ceux qui n'ont pas une référence communautaire donnée. Entendre également ceux qui y ont renoncé. Cette mesure, on s'en doute bien, n'a jamais vu le jour au Liban, aucune législation civile de la famille n'ayant pu émerger depuis.
En outre, la décision du ministre de l'Intérieur a été motivée par une série de textes internes et internationaux, dont notamment la Constitution libanaise (l'alinéa C du préambule et l'article 9) qui prévoit la liberté d'opinion, de croyance et de conscience, ainsi que l'article 18 de la déclaration des droits de l'homme et la convention sur les droits de l'enfant, dont le Liban est signataire.

Un droit sacré
Mais d'abord, que signifie concrètement le droit de rayer son appartenance communautaire sur les fiches d'état civil ?
« L'idée n'est pas de renoncer à sa confession ou à sa communauté d'origine, mais tout simplement de consacrer le droit de la déclarer ou non », insiste Talal Husseini, écrivain et membre du comité administratif du Centre civil pour l'initiative nationale. Ce n'est donc ni un reniement de la communauté à laquelle on appartient ni une invitation à l'athéisme. C'est tout simplement la revendication d'un droit sacré qui est celui de ne pas affirmer explicitement son appartenance confessionnelle, qui reste de l'ordre du privé, relève-t-il. Notre demande se situe dans la sphère publique et non privée, représentée à ce jour par les communautés religieuses et soumise à ces dernières pour ce qui est des statuts personnels. Le druze, le chiite, le maronite, le sunnite, etc. garderont donc leur statut religieux en tant que membres de leurs communautés respectives. En acquérant leur droit de ne pas déclarer leur confession, ils ne sont devenus citoyens qu'au regard de la sphère publique et continueront, pour le moment, à se prévaloir de leurs droits en matière de législation de la famille. »
En l'absence d'un régime laïc à proprement parler et à la lumière des camouflets subis à travers le temps par les tenants de la laïcité, les défenseurs de cette mesure ont voulu reporter à plus tard le grand chantier de la laïcisation, préférant opter pour la politique du « pas à pas » et commencer par ce geste « on ne peut plus symbolique aux yeux de certains ».
D'apparence anodine, cette simple mesure administrative pourrait se transformer, à long terme, en une véritable révolution sur les plans aussi bien politique que juridique si elle parvient à faire boule de neige et attirer des foules. Créant ainsi une nouvelle catégorie de citoyens de conviction laïque, elle leur permet de mieux se faire entendre et de poursuivre leur lutte pour atteindre des stades encore plus avancés en direction de l'abolition du confessionnalisme, entendu dans son sens global.
Mais elle peut également rester lettre morte et demeurer confinée à ses promoteurs, voire même donner les effets contraires par rapport aux objectifs principaux pour laquelle elle a été initiée, tant il est vrai que ses implications légales, administratives et politiques sont complexes (voir encadré).
Il n'y a aucun doute sur l'intention véritable de cette nouvelle catégorie d'administrés qui, à travers une mesure inoffensive dans la forme, aspirent tout simplement à ébranler cet énorme monument figé que constitue le système confessionnel libanais. Celui-là même qui est à l'origine de nombreux conflits internes et la raison même de la précarité de l'État, comme l'attestent nombre d'intellectuels, une partie importante de la jeunesse libanaise, voire même certains leaders politiques dont les dénonciations n'ont cependant jamais dépassé le stade de discours publics à caractère démagogique, sans lendemain.

Un premier pas
Mais la question légitime que l'on est en droit de se poser est de savoir à quoi sert cette résolution si elle n'arrivera pas à extraire le citoyen, une fois pour toutes, des tentacules de sa communauté religieuse. Que signifie le fait de rayer son appartenance communautaire chez le moukhtar, sachant que l'on n'est toujours pas reconnu - socialement et administrativement, voire même juridiquement - comme citoyen à part entière, puisque ce dernier continue d'être défini par sa communauté d'origine ? Et enfin que pourra donc réaliser cette mince mesure face au rouleau compresseur de l'éducation communautaire, du cloisonnement géographique et du discours politique parallèle qui ne fait qu'exacerber la fibre communautaire ? Autant d'ingrédients qui nourrissent un système dysfonctionnel où le public et le religieux se fondent et se confondent.
Pour Nadine Farghal, avocate et activiste, la réponse est évidente : « C'est un premier pas, modeste, certes, mais qui vise à créer une brèche dans ce système communautaire hermétiquement fermé de toutes parts. Une fois fendue, cette énorme toile d'araignée finira par se déchirer », affirme la juriste.
Encore faut-il que la base suive et que certains partis politiques qui prétendent œuvrer pour l'abolition du confessionnalisme politique, voire même la laïcité, soutiennent cette initiative courageuse et fassent pression pour entraîner des réformes complémentaires au niveau du régime confessionnel libanais.
« Comment donc espérer, au demeurant, une évolution quelconque dès lors que de nombreux représentants de la nation, sur lesquels repose l'initiative de la laïcisation du droit, font eux-mêmes partie des conseils communautaires ? » fait remarquer Marie-Claude Najm dans son article juridique intitulé « Pour une législation civile unifiée de la famille au Liban » (revue Travaux et jours, numéro 74, automne 2004- USJ).

Une déclaration d'intention
À ce jour, seuls le Bloc national et le Parti syrien national social se sont prononcés en faveur de cette mesure.
Pour le ministre de la Justice, Ibrahim Najjar, cette nouvelle mesure est une « simple déclaration d'intention, un passeport de bienséance » qui n'a d'autres effets que « de donner des indications de tendance ».
Il n'est point besoin de le crier sur les toits : désormais, ce n'est plus de la classe politique en place qu'il faut attendre les réformes. Le confessionnalisme, notamment politique, n'a pas fini de reporter l'édification même d'un État gangrené par ses composantes communautaires et par la compétition qu'elles se livrent pour s'aliéner le citoyen libanais.
Qualifiée par les trois Constitutions successives du pays (1926, 1943 et Taëf) de « transitoire », la représentation confessionnelle au niveau du jeu politique s'est maintenue à travers les années sans discontinuité.
« Soixante-quatre années de vie politique et constitutionnelle, et quinze années de guerre civile ne sont parvenues qu'à écorner à peine » les dispositions provisoires de représentation communautaire, quand bien même plusieurs voix révoltées se sont fait entendre pour revendiquer une laïcisation plus au moins totale de la vie publique dans le pays. Ces propos sont retranscrits dans les notes de la Constitution de Taëf (édition publiée par l'ancien conseiller juridique de l'Assemblée nationale, Béchara Ménassa). Le texte fondamental a pourtant prévu la mise sur pied d'un comité chargé de la suppression du confessionnalisme politique. À ce jour, rien n'a été fait, et la réforme du système a été maintes fois reportée.
Mais nous n'en sommes pas encore là. Le simple geste de rayer son appartenance confessionnelle sur les fiches d'état civil n'est qu'une goutte d'eau dans la mer agitée de la concurrence acharnée que se livrent les confessions.
De plus en plus décrié notamment par une grande partie de l'intelligentsia libanaise, le régime confessionnel que perpétue obstinément la classe politique a démontré son échec au fil du temps. Talal Husseini va plus loin en affirmant que ce dernier « est actuellement en état d'agonie au Liban mais sans que l'on ait réussi à trouver un substitut ». « Nous voulons devancer sa mort en proposant d'autres alternatives », affirme-t-il.
Une occasion que les défenseurs d'une citoyenneté libanaise expurgée de ces référents communautaires entendent saisir pour amorcer un mouvement de réforme globale en vue de l'acquisition, dans une seconde étape, d'une loi civile optionnelle. L'initiative est en tous les cas à l'épreuve des faits.
La naissance de cette nouvelle catégorie de citoyens a été consacrée le jour où un groupe d'intellectuels et d'activistes, parrainés par le Centre civil pour l'initiative nationale, ont décidé de présenter officiellement au ministère de l'Intérieur une requête qui a pour objectif de consacrer leur droit...