Mise en place
Après la Grande-Bretagne qui a vu apparaître ses Pink Ladies Cabs en 2006, l'adaptation locale ne pouvait que tenter un esprit commercial, curieux et attentif. « Pourquoi pas des conductrices ? a donc pensé Nawal Yaghi Fakhri. C'est plus rassurant pour les passagères. Ça se remarque et permet aux femmes d'accéder à un métier qu'elles peuvent faire aussi bien que les hommes. » Et la voilà partie à la recherche de fonds, « les banques ne nous ont pas aidées » ; de voitures, « certains labels ont ironiquement souri à mon désir de les peindre en rose » ; et de personnel. Quand elle passe une annonce dans les journaux en ces termes : « Recherchons femmes de plus de 35 ans qui savent bien conduire. Salaire fixe assuré », les appels tombent très vite. Jeannette, Souad, Christine et les autres, emballées, sont aussitôt engagées. Leur job : assurer, par équipes tournantes, un service 24 heures sur 24, sept jours sur sept, à la fois efficace et personnalisé. Vêtues d'une chemise blanche agrémentée d'une cravate rose, une fleur dans les cheveux, maquillage discret et hauts talons en option, ces Najwa's Angels travaillent d'une manière personnalisée, car féminisée, à bord de six voitures, facilement identifiables. Sur l'autoroute Beyrouth- Dbayé, à une heure de pointe, on ne voit qu'elles... Comme un bonbon acidulé, une touche Barbie dans le triste paysage urbain.
Jeannette, célibataire, qui donnait des cours de français et travaillait dans une garderie, a été une des premières à encourager le projet. « J'avais envie de sortir de la routine et puis, j'adore conduire, découvrir des régions, cela agit comme un calmant sur mon humeur. Tout dans ce projet avait le goût des premières fois. Nos clientes se sentent en confiance. Certaines ont pris des habitudes à jour et heure fixes avec l'une d'entre nous. Cette nouvelle approche du métier a donné à la femme d'avantage d'importance. Quand nous passons, dit-elle, les gens nous pointent du doigt, nous sourient. Certains hommes nous encouragent ! D'autres, en plaisantant, avouent que nous leur faisons concurrence. » Pour Souad, mère de 4 enfants, qui cherche sa fleur pour poser devant l'objectif du photographe, « le concept a donné au métier une nouvelle définition ! Le fait de ne pas prendre de passagers masculins annule tout risque de problèmes ou d'ambiguïtés. En m'organisant, poursuit-elle, j'arrive à jongler avec mon rôle de mère. L'autre jour, raconte-t-elle devant ses collègues, un camion de l'armée s'est arrêté pour me faire passer. Les militaires m'ont saluée amicalement. Ça fait plaisir... »
Encouragée par le ministère du Tourisme et Nada Sardouk en particulier, encouragée surtout par une demande grandissante et des échos qui ont dépassé les frontières, Nawal Yaghi Fakhri envisage de s'installer dans plusieurs régions du pays. Aux côtés des Oscar, Rachid, Tom, Elvis, Pythagore et autre Lord Taxi, tous conjugués au masculin, peut-être réussira-t-elle, sans le vouloir, à imposer, en toute féminité, une minirévolution dans un pays qui ne connaît plus sa véritable identité culturelle.