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Économie - Macroéconomie

La comptabilité nationale libanaise est-elle fiable ?

Taux de croissance gonflé, exportations surestimées, hypothèses erronées, l'économiste Charbel Nahas adresse plusieurs reproches aux méthodes retenues.
Après une longue interruption, le Liban a repris l'élaboration régulière des comptes nationaux, à l'instar des pays un tant soit peu développés qui veillent à la bonne information de leurs acteurs et partenaires économiques, et à la transparence de leur économie. L'économiste Charbel Nahas formule toutefois plusieurs critiques à l'égard des méthodes adoptées par les tenants de la comptabilité nationale, ce qui, selon lui, laisse planer un doute quant à la fiabilité des documents qu'ils produisent. Des critiques jugées toutefois irrecevables par Robert Kasparian, conseiller auprès du Premier ministre et chargé d'élaborer les comptes nationaux à titre intérimaire.

Des contraintes externes
Charbel Nahas tient en premier à rendre hommage à Robert Kasparian, « qui a déployé des efforts titanesques pour redémarrer l'Administration centrale de la statistique (ACS) et la comptabilité nationale au Liban ». Il rappelle en outre que l'année 1997 a été choisie comme année de base pour l'élaboration des comptes nationaux, suite à une enquête sur le recensement des immeubles menée entre 1996 et 1997. Tous les chiffres publiés depuis sont des extrapolations de la situation en 1997, précise-t-il.
L'économiste déplore à ce propos le retard de la modification de l'année de base, qui devrait être ramenée à 2005, pour une plus grande précision de la comptabilité nationale. « Ce retard est dû au fait que les deux grandes études de 2005 sur les conditions de vie et dépenses des ménages n'ont toujours pas été publiées, tout comme plusieurs autres enquêtes de l'ACS, du fait des contraintes imposées à cette dernière par ses bailleurs de fonds, ajoute-t-il. En effet, les études de 2005 ont été bloquées, en attendant la publication par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) de rapports dont l'intérêt est relatif et qui sont conçus de sorte à alimenter la concurrence politico-économique entre les différents cazas », regrette l'économiste.
Robet Kasparian, lui, n'a pas souhaité s'exprimer sur cette question.

Des prix « opaques »
Au-delà de ce point, il convient de souligner que l'extrapolation se fait en intégrant aux données de 1997 une série de prix à la consommation ainsi que des informations douanières, financières et étatiques propres à l'année courante étudiée. « C'est la série des prix élaborée par la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) qui a été retenue, indique Charbel Nahas. Or cette série est totalement inaccessible au public, ce qui renforce l'opacité des méthodes de calcul. »
À ce reproche, Robert Kasparian répond que « toutes les sources retenues sont transparentes ». « La série des prix de l'ACS n'était pas complète lorsque nous avons commencé à élaborer nos statistiques, ajoute-t-il. On a alors commencé par prendre les prix à la consommation de la Chambre de commerce et d'industrie qui couvre toutes les dépenses et non seulement les prix alimentaires. Depuis deux ans, nous prenons presque tous les prix de l'ACS en complétant ce qui nous manque avec les chiffres de la CCI. »

La correction des exportations
Par ailleurs, certaines corrections faites sur les chiffes de base de 1997 sont « discutables », pour Charbel Nahas, notamment en ce qui concerne les exportations. « Ces derniers ont subi une correction considérable à la hausse qui n'est guère convaincante. Ils ont expliqué cela par la contrebande le long de la frontière syrienne, mais en réalité, le trafic fonctionne de la Syrie vers le Liban plutôt qu'inversement », estime-t-il.
De son côté, Robert Kasparian explique à cet égard que « les déclarations des exportations ne sont pas aussi contrôlées que celles des importations ». « La correction est un peu arbitraire, reconnaît-il. Il reste qu'en 1997, nous avons abouti à une consommation de fruits inférieure à la production. Il y avait un arbitrage à faire pour assurer l'équilibre entre emplois et ressources : augmenter la consommation des ménages ou redresser de façon importante les exportations agricoles. Nous avons opté pour la seconde option. »

Une allocation « arbitraire »
Selon Charbel Nahas, l'hypothèse « la plus grave » porte sur l'allocation des flux intrants en flux de capitaux à rémunérer et transferts sans contrepartie. « En 1997, l'hypothèse a été retenue sans justification de considérer 70 % des flux en tant que transferts, et cette part a été arbitrairement augmentée au cours des années suivantes », note-t-il.
« Il s'agit d'un arbitrage sur base d'un résidu, indique de son côté le conseiller auprès de Fouad Siniora. Au niveau de la balance des paiements, il reste des résidus que nous avons imputés aux transferts, vu que la Banque du Liban elle-même n'arrive toujours pas à les expliquer. »

Production et importations
Quant aux méthodes d'extrapolation, l'évolution des importations a été pour une large part considérée comme allant de pair avec l'augmentation de la production domestique, indique Charbel Nahas. D'après son analyse, cette hypothèse est valable à court terme, mais n'est plus défendable quand on étale l'extrapolation, car on ignore de ce fait les modifications des techniques de production et des modes de consommation.
Robert Kasparian répond à ces propos que « chacun des 6 000 produits d'importation est analysé minutieusement ». « Une augmentation des importations de matières premières correspond pour nous à une hausse de la production. Nous ne faisons pas de théorie économique », lance-t-il.

Une croissance « gonflée »
Sur un autre plan, l'économiste estime que les chiffres de la comptabilité nationale ont artificiellement « gonflé » les taux de croissance depuis 1997. À titre de preuve, il indique que le recensement des entreprises en 2004 fait apparaître une stagnation, voire un recul de leur nombre et du total de leurs actifs depuis 1997, « ce qui est peu compatible avec une forte croissance cumulée ».
Il affirme aussi que d'après le peu de chiffres qui ont filtré de l'enquête de 2004, la dépense moyenne par résident est de 4 millions de livres par an, ce qui, aux corrections techniques près, donne une consommation domestique de 16 000 milliards de livres. La comptabilité nationale extrapolée pour 2004 donne une consommation domestique de 28 000 milliards de livres. « L'écart de 50 % est troublant, souligne-t-il. Cela ne veut toutefois pas dire que les chiffres de 2004 ne pourraient pas être inexacts ou comporter des biais. Nous ne sommes pas à même de tester leur validité puisqu'ils n'ont toujours pas été publiés. Il reste que les chiffres extrapolés à partir de 1997 ont vu leur fiabilité entamée. Un tel écart au niveau de la consommation modifie les autres agrégats et donc l'image économique du pays. Ce qui laisse penser que la croissance effective a été moindre. »
Charbel Nahas explique aussi que les chiffres de la croissance et de l'inflation avancés par la comptabilité nationale aboutissent en 2008 à une production qui serait presque le double exact de celle de 1997. En supposant constantes la structure sociale et la répartition des revenus entre capital et travail, ceci voudrait dire que les salaires nominaux devraient être le double de ce qu'ils sont. « À regarder autour de soi, on peut sérieusement douter de la validité d'hypothèses qui conduiraient à un tel constat, conclut-il. D'ailleurs, les chiffres actuels font apparaître une situation économique fort inquiétante. Que serait-ce s'ils sont corrigés à la baisse ! »
Robert Kasparian répond à cette critique en affirmant que « la contrepartie de l'augmentation de la production est reflétée d'abord par les impôts indirects qui ont beaucoup augmenté avec la mise en place de la TVA ». « Les impôts indirects ont représenté 17,8 % du PIB en 2004 contre seulement 10 % en 1997. Il y a également les amortissements, les salaires, les intérêts et les revenus mixtes qui peuvent augmenter plus vite que les salaires, chaque employé rêvant de s'établir seul. D'ailleurs, les salariés ne représentent que 65 % de la population active au Liban contre quelque 90 % en Europe. De toute façon, on n'a pas suffisamment de données sur les salaires pour affirmer qu'ils n'ont pas progressé et pour juger de la répartition de la valeur ajoutée entre capital et travail », précise-t-il enfin.
Après une longue interruption, le Liban a repris l'élaboration régulière des comptes nationaux, à l'instar des pays un tant soit peu développés qui veillent à la bonne information de leurs acteurs et partenaires économiques, et à la transparence de leur économie. L'économiste Charbel Nahas formule...

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