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Liban

Le drame inextricable des réfugiés irakiens au Liban

Menacé par les milices chiites à cause de son appartenance au parti Baas, Riad, un Irakien chiite vivant dans une région sunnite, a décidé de quitter son pays d'origine en juin 2006, après avoir été kidnappé pendant 10 jours, puis relâché.
Marié à une Libanaise, sa situation était à peine un peu plus enviable que celle de ses concitoyens qui vivent au Liban, un pays qui ne reconnaît toujours pas leur statut de réfugiés. Pourtant, la vie ne l'a pas ménagé, et le poids de ses origines et de son statut précaire ne lui a pas facilité son insertion au pays du Cèdre. Après un errement qui aura duré près d'un an, il a enfin réussi à se trouver un emploi modestement payé dans une ONG norvégienne où il enseigne les maths et l'informatique à des enfants et des adultes irakiens ; ce qui lui permet à peine de scolariser ses quatre enfants. À l'instar de nombreux réfugiés dont le statut reste confiné à l'illégalité, Riad, lui, n'a pu obtenir son permis de travail rarement accordé aux Irakiens. « Les formalités coûtent très cher. Il faut savoir que la plupart des réfugiés ne peuvent pas se payer les frais du permis de travail, qui s'élèvent à 3 millions de livres libanaises. Seuls ceux qui ont pu avoir un piston et versé une somme d'argent faramineuse ont gagné le permis », se plaint-il.
Pour Riad, le problème ne réside pas seulement au niveau des autorités libanaises, mais il relève aussi de la politique suivie par le gouvernement irakien qui fait pression sur les États tiers pour les pousser à refouler les réfugiés et à les contraindre à rentrer chez eux.
« Les autorités irakiennes veulent promouvoir l'image d'un Irak stable et sécurisé. Par conséquent, elles interviennent auprès des pays d'accueil pour les forcer à ne pas admettre chez eux des réfugiés », commente cet enseignant.
Bien que partageant sa vie avec une conjointe libanaise, Riad souffre du chauvinisme dont font preuve un grand nombre de Libanais, qui voient d'un mauvais œil l'affluence des réfugiés irakiens dans leur pays.
« Les Libanais vivent des divisions communautaires majeures, qui se répercutent inéluctablement sur nous en tant que réfugiés irakiens. Nous nous ressentons doublement rejetés, d'abord en tant que réfugiés, en second lieu sur base de notre appartenance communautaire », témoigne cet enseignant dont les yeux regorgent de larmes toutes les fois qu'il évoque ses conditions de vie et celles de ses semblables. À l'instar de ses concitoyens qu'ils côtoient dans le cadre de son emploi, il se fait peu d'illusions sur l'avenir de l'Irak, déchiré par une guerre civile qui lui semble interminable malgré l'avènement d'une nouvelle administration américaine, laquelle, dit-il, ne sera pas capable d'opérer des changements majeurs dans son pays. « Il suffit de regarder de près la politique étrangère suivie par les États-Unis depuis plusieurs années pour comprendre que ce n'est pas l'avènement d'un nouveau président qui affectera la politique extérieure du pays », assure-t-il, en allusion à l'accession de Barack Obama à la Maison-Blanche.
Même s'il continue d'en rêver, Riad n'a aucune chance de revenir dans son pays d'origine, en proie aux tensions communautaires, à l'instabilité et à la violence résurgente. Il se retrouve ainsi otage d'une situation dans un pays d'accueil qui ne lui offre pas l'hospitalité espérée.
Les conditions de vie des Irakiens, au plan social, ne sont que la résultante de leur statut légal. Ils font face à de nombreux obstacles dans leurs tentatives de réaliser une autosuffisance. Du fait même qu'ils n'ont pas de statut légal et en raison des risques d'arrestation, ils sont vulnérables à l'exploitation et aux abus.
Adel, la cinquantaine, a été dupé par son partenaire libano-belge, qui lui a soutiré une somme importante d'argent dans le cadre d'un projet de travail conjoint. N'ayant pas la possibilité d'engager un recours en justice - Adel est un clandestin par rapport à la justice libanaise -, il a été obligé de se soumettre au fait accompli. Menacé, puis blessé par balles en Irak pour avoir travaillé avec une ONG américaine, Adel sait pertinemment que le chemin de retour lui est interdit.
Persécuté chez lui, il le sera également à Beyrouth, où il s'est fait repérer par la police et fut jeté en prison pour appartenance à la catégorie des sans-papiers, « malgré le fait que j'étais muni d'une carte de réfugié des Nations unies (HCR) », atteste-t-il. La suite est classique : il fait plusieurs mois de prison et la grève de la faim avant d'être relâché. Styliste de formation - il a fait l'École des beaux-arts en Irak -, Adel est clair quant à ses ambitions : il voudrait aller dans n'importe quel pays qui l'accepterait en tant que citoyen à part entière, « d'autant, dit-il, que j'ai un métier en main et une formation universitaire ».
Dans leurs efforts de relever ces défis, les réfugiés irakiens essaient par tous les moyens « de s'adapter à des situations qui sapent davantage leur dignité », affirme Human Rights Watch, en expliquant que les réfugiés organisent leur vie de manière à diminuer au minimum les risques d'arrestation. « Plusieurs parmi eux se sont installés dans la banlieue sud de Beyrouth. Ceux-là se sentent relativement en sécurité du moment que les autorités libanaises ne s'aventurent pas généralement dans cette région contrôlée par le Hezbollah. Pour éviter d'être arrêtés, les réfugiés irakiens évitent de sortir de ce secteur », poursuit l'ONG dans un rapport publié en décembre 2007.
Riad confirme : « Le seul moyen pour moi d'éviter les tracas, c'est de faire profil bas et d'éviter en permanence de tomber sur un barrage, ou sur une patrouille des forces de l'ordre », explique-t-il.
Le cas de Riad n'est pas exceptionnel, et sa souffrance étrangement similaire au calvaire que vivent, dans l'ombre, des centaines de réfugiés irakiens, victimes de l'incohérence des textes libanais.
C'est le cas de Noha, mère de deux enfants, arrivée au Liban il y a quatre ans, dans des conditions extrêmement difficiles. Noha raconte son périple dans les moindres détails, comme si cela s'était passé hier.
« Nous sommes venus de manière illégale, en traversant la Syrie. Nous avons vécu un véritable drame après avoir marché pendant 4 heures et demie, traversant à pied les montagnes en compagnie d'un groupe de guides que nous ne connaissions même pas et à qui avons confié notre vie, moyennant une somme d'argent importante. Les enfants étaient exténués et terrifiés, puisqu'ils n'osaient même pas faire de bruit car telle était la consigne pour ne pas se faire repérer », raconte cette mère de famille, qui a à peine la trentaine.
Arrivés enfin au Liban, les Issa ont été accueillis par une famille irakienne. Puis de famille en famille, ils ont fini par trouver un taudis, où ils vivent actuellement.
Les deux premières années ont été pénibles pour cette famille chrétienne, qui a fui les persécutions visant sa communauté et témoigné avant son départ de l'assassinat d'un de ses proches. Les enfants passaient la journée en crèche, loin des deux parents qui devaient travailler près de douze heures par jour pour survivre. Sans papiers, le mari, employé dans les usines, était quasiment hanté par les patrouilles des forces de l'ordre, les perquisitions.
L'histoire de Noha n'est qu'un autre échantillon de la misère, de l'incertitude, que vivent au quotidien près de 50 000 réfugiés irakiens, hantés par la peur constante d'être arrêtés.
Le choix qu'on leur laisse est on ne peut plus absurde : ils sont forcés à retourner dans leur pays, ravagé par la violence, ou rester sous les verrous pour une période indéterminée, indique un rapport de l'ONG Human Rights Watch publié en décembre 2007.
Selon l'organisation, une centaine de réfugiés irakiens sont aujourd'hui en prison au Liban (ils étaient près de 500 en 2007), pays qui n'est pas « membre de la Convention des Nations unies sur le statut des réfugiés de 1951 » et qui n'a aucune loi concernant les réfugiés. La baisse du nombre des détenus irakiens est en partie due à une décision de la Sûreté générale consistant à permettre à un certain nombre d'étrangers de régulariser leur situation au Liban. Cette mesure de clémence n'aura malheureusement duré que 6 mois.
« Le Liban n'a pas reconnu officiellement le droit des Irakiens qui ont besoin d'une protection internationale d'être présents sur son sol et n'a pas adopté les décisions nécessaires pour que ces personnes ne soient pas arrêtées », précise encore Human Rights Watch.
« Les personnes qui entrent illégalement au Liban dans le but de fuir les persécutions ou celles qui entrent avec un visa mais qui restent au-delà de la période de séjour accordée sont traitées comme des immigrés clandestins et sont arrêtées, emprisonnées, refoulées, ou payent des amendes », relève le rapport, même s'il estime qu'« en pratique, les autorités libanaises ont fait preuve de tolérance à l'égard de la présence irakienne ».
Conformément aux lois internationales sur les réfugiés, le Liban ne devrait pas sanctionner les Irakiens entrés illégalement au Liban ou les poursuivre en justice. Membre du pacte international des droits civils et politiques, il devrait aussi cesser de soumettre les réfugiés irakiens à une détention à durée illimitée, préconise HRW.
Chercheur au sein de HRW, Nadim Houry relève toutefois l'existence de jugements cléments émis par certains magistrats à l'égard des réfugiés, qui se sont abstenus d'ordonner le rapatriement de certains d'entre eux, passant outre à une sanction prévue par la loi libanaise. Malheureusement, dit-il, la Sûreté générale, qui a une juridiction propre en matière d'étrangers, a souvent refusé de libérer les personnes détenues chez elle.
Membre fondateur de l'association Frontiers - une ONG qui offre notamment aux réfugiés conseil et soutien légal -, Samira Trad résume la situation comme suit : « Ce qui est malheureux dans le cas de ces réfugiés, c'est que le Liban n'a pas défini une politique pour aborder ce problème qui va en s'amplifiant. Les traitements se font au cas par cas. Il s'agit de définir clairement une stratégie pour s'assurer au moins qu'il n'y a pas de violations en termes de droits de l'homme. » Certes, reconnaît cette activiste, les forces de sécurité font de plus en plus preuve de tolérance à l'égard des réfugiés irakiens, mais cela se fait souvent de manière arbitraire, un peu à la tête du client, comme le prouvent les nombreuses arrestations.
Nadim Houry va dans le même sens en insistant sur la nécessité pour les responsables politiques libanais de mettre en place une « politique cohérente » envers les réfugiés de manière à faire appliquer les principes de base des droits de l'homme. « Tant que nous n'avons pas une politique claire dans ce domaine, le problème restera entier. Le gouvernement est appelé incessamment à développer une politique et une législation parallèles, qui respectent les droits de l'homme, et s'assurer qu'elles sont bien appliquées au niveau des services de sécurité », dit-il.
Menacé par les milices chiites à cause de son appartenance au parti Baas, Riad, un Irakien chiite vivant dans une région sunnite, a décidé de quitter son pays d'origine en juin 2006, après avoir été kidnappé pendant 10 jours, puis relâché. Marié à une Libanaise, sa situation était à peine un...
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