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Actualités - OPINION

Éclairage Les tergiversations syriennes à nommer un ambassadeur à Beyrouth suscitent diverses interprétations Jeanine JALKH

Le 15 octobre dernier, la Syrie et le Liban ont établi des relations diplomatiques pour la première fois depuis la proclamation de leur indépendance il y a plus de 60 ans. Si ce premier pas vers la normalisation des rapports entre les deux pays a été généralement bien accueilli, ainsi que l’ouverture effective d’une ambassade syrienne à Beyrouth dotée d’un staff et de deux diplomates déjà en poste, le retard mis par la Syrie à désigner son ambassadeur au Liban suscite de nombreuses suspicions. C’est le cas notamment du camp du 14 Mars qui voit d’un mauvais œil le délai « désormais injustifié » de l’annonce par Damas des candidatures à ce poste. Le 14 Mars remet sérieusement en doute les « bonnes intentions du voisin syrien », alors que Beyrouth avait déjà fait son choix en décembre. Les méfiances exprimées par certains milieux se sont en outre amplifiées après l’annonce, hier, par les autorités libanaises de l’approbation par la Syrie de la nomination de Michel el-Khoury comme premier ambassadeur du Liban à Damas, soit plus de trois mois après l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays voisins. Le ministre des Affaires étrangères Faouzi Salloukh a affirmé hier avoir « reçu du premier secrétaire près l’ambassade de Syrie, Chawki Chammat, une lettre dans laquelle la Syrie approuve la nomination de Michel el-Khoury comme ambassadeur libanais à Damas ». Le timing de l’approbation syrienne de la nomination du diplomate libanais est assez significatif puisqu’il survient à la veille de la visite du ministre de la Défense Élias Murr à Damas, aujourd’hui, et au lendemain d’un entretien accordé par le président Assad à la chaîne al-Manar, entretien au cours duquel ce dernier a été interrogé sur ce retard. Si le camp du 8 Mars cherche plutôt à minimiser l’importance de l’ajournement de la désignation de l’ambassadeur syrien à Beyrouth, reportée à trois reprises déjà, les forces du 14 Mars, elles, parlent d’« un atermoiement qui n’est rien d’autre que le reflet de la politique syrienne du compte-gouttes », comme le relève une source du secrétariat du 14 Mars. « Les Syriens sont connus pour leurs tentatives de rentabiliser toute action en politique. Ils ne donnent jamais rien sans chercher à en retirer des bénéfices. Il est donc possible, dans ce contexte, de voir la Syrie œuvrer à “monnayer” la désignation du diplomate, tout comme elle a probablement dû amortir auparavant la décision de l’échange diplomatique et de l’ouverture de l’ambassade », souligne la source précitée. Celle-ci affirme d’ailleurs que l’échange d’ambassadeurs « est un processus auquel la Syrie ne saurait plus échapper », soulignant que tôt ou tard, Damas devra désigner quelqu’un. À défaut, précise la source en question, et si la Syrie persiste à vouloir reporter la nomination de l’ambassadeur pour s’appuyer sur la seule présence du premier secrétaire, « c’est son affaire ». « Après tout, il y va de son intérêt d’envoyer un diplomate pour représenter son pays au Liban. Il s’agit d’un acquis pour la Syrie et non le contraire », conclut la source. Une source proche du Hezbollah estime pour sa part que le retard « est compréhensible » dans la mesure où l’échange de diplomates « ne figure plus en tête des priorités syriennes, à la lumière notamment de la guerre de Gaza et des pseudo-réconciliations arabes ». Réfutant l’existence d’une explication « politique » à l’attitude syrienne, la source précise que le principe de « l’échange diplomatique a été accepté et le processus accéléré par les autorités syriennes, mais la désignation du diplomate ne constitue plus une urgence aux yeux de Damas ». Une autre source, indépendante, affirme pour sa part qu’on ne peut parler de « retard » uniquement du côté syrien, rappelant que le Liban lui-même n’a pas tout à fait « assumé ses responsabilités dans cette affaire ». « Après tout, la Syrie a quand même concrétisé le principe de l’échange en louant les locaux de l’ambassade et en y affectant deux diplomates et des administrateurs. Ce que le Liban n’a toujours pas fait à ce jour ». Quant aux interprétations politiques avancées sur les raisons qui poussent les autorités de Damas à traîner sur ce plan, on en retient celle qui va dans le sens d’une réaction syrienne au processus de rapprochement entre Paris et Damas. Une source proche du dossier précise que le président Michel Sleiman a récemment pris contact avec le chef de l’État syrien Bachar el-Assad pour lui rappeler « leur engagement mutuel » pris le 13 août dernier lors du sommet présidentiel tenu à Damas en matière d’échange diplomatique. Sur l’insistance de M. Sleiman affirmant devant son homologue syrien qu’« au Liban, on s’impatientait déjà », M. Assad aurait tranché en répondant que « ce n’était pas le moment ». La source précise en outre que l’attitude du chef de l’État syrien – qui est l’ultime recours en la matière – « peut être interprétée comme une réaction de Damas au processus de rapprochement franco-syrien, notamment à l’insistance du président Nicolas Sarkozy de voir l’échange d’ambassadeurs enfin concrétisé ». Toujours selon cette source, la tergiversation syrienne serait également liée aux engagements pris par le chef de l’État syrien auprès de son homologue français, lors de leur rencontre, en faveur de la signature par Damas de l’accord de partenariat euro-méditerranéen au cours du mandat de la présidence française de l’Union européenne, des promesses que M. Assad n’a pas tenues. Cette thèse contredit d’ailleurs les propos tenus lundi soir par Bachar el-Assad lui-même lors de l’entretien à la chaîne al-Manar, dans lequel il affirme clairement que « les relations entre Paris et Damas ne sauraient passer par le Liban ». « C’est une position que j’ai clairement exprimée devant mes interlocuteurs » français, avait affirmé M. Assad sur la chaîne du Hezbollah, faisant remarquer que « si l’entente syro-française sert les relations libano-syriennes, ce sera toujours une chose de gagnée ». Quoi qu’il en soit, l’énigme reste entière et l’espoir de voir prochainement le diplomate syrien en place, de plus en plus minime. C’est ce qui fera dire d’ailleurs à un observateur que les Syriens ne comptent pas trancher avant la formation d’un nouveau gouvernement.
Le 15 octobre dernier, la Syrie et le Liban ont établi des relations diplomatiques pour la première fois depuis la proclamation de leur indépendance il y a plus de 60 ans. Si ce premier pas vers la normalisation des rapports entre les deux pays a été généralement bien accueilli, ainsi que l’ouverture effective d’une ambassade syrienne à Beyrouth dotée d’un staff et de deux...