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Actualités - OPINION

L’Europe « did it too » ! Le billet d’humeur d’Émilie SUEUR

Depuis ce grand mardi 4 novembre, le monde n’en finit plus d’analyser comment l’Amérique a osé le changement. Osé élire un président noir. Et elle revenait de loin, l’Amérique, qui ne s’était résolue à abolir les lois ségrégationnistes qu’en 1945. « Le rêve américain est de retour », « They did it », titrent les journaux. Et bien, de l’autre côté de l’Atlantique, en Europe, « They did it too » ! Comme ça, sur le papier, ça n’a l’air de rien : les 27 États membres de l’Union européenne ont donné mercredi leur feu vert à une proposition de la commission autorisant la commercialisation, à partir du 1er juillet 2009, des fruits et légumes hors normes. Mais il faut bien comprendre la portée de la chose. Comme l’a souligné Mariann Fischer Boel, membre de la commission chargée de l’Agriculture et du Développement rural, « une nouvelle ère commence pour les concombres courbes et les carottes noueuses ». Pour saisir l’importance de cette décision, il faut savoir que, depuis plus de 20 ans, les fruits et légumes ne respectant pas des critères précis de taille et d’apparence finissaient dans l’industrie alimentaire sous forme de plats cuisinés, ou – et cette seconde option était plus souvent retenue – pourrissaient sur place. Alors que la FAO (Food and Agriculture Organization) rappelait récemment que « le nombre de personnes sous-alimentées avant la flambée des prix de 2007-2008 était de 850 millions » et que « ce nombre a augmenté au cours de la seule année 2007 de 75 millions, atteignant le chiffre de 925 millions », la justification du gâchis engendré par l’ultraréglementation européenne devait tout de même commencer à être problématique. Et parler d’ultraréglementation n’est qu’un euphémisme. Exemples tirés du guide n° F9-02 du 28 janvier 2003 pour l’achat public de fruits, de légumes et de pommes de terre à l’état frais. 86 pages... Selon le règlement CEE n° 1677/88 (JOCE du 16.06.88), un concombre de « catégorie extra » doit être « bien formé et droit (hauteur maxi de l’arc 10 mm pour 10 cm) ». Un concombre de « catégorie I » est « assez bien formé et droit (hauteur maxi de l’arc 10 mm pour 10 cm) ». Un concombre de « catégorie II » est soit « légèrement recourbé (hauteur maxi de l’arc 20 mm pour 10 cm), soit recourbé (hauteur maxi de l’arc > à 20 mm) ». Il peut également présenter des « crevasses cicatrisées », ce qu’un concombre de « catégorie extra » ne peut pas, bien sûr, se permettre. En ce qui concerne la tomate (règlement CEE n° 790/2000 (JOCE du 15/04/2000) de catégorie extra, elle est en gros « exempte de défaut », mais de catégorie I, elle est « exempte de dos verts apparents », peut porter de « très légères meurtrissures », des « crevasses cicatrisées de 1 cm maxi », des « protubérances limitées », un « petit ombilic non liégeux », des « cicatrices liégeuses au point pistillaire (1 cm²) », ou encore une « fine cicatrice pistillaire allongée (2/3 du diamètre maxi) ». La pomme n’est pas mal non plus, notamment en ce qui concerne son calibrage. De catégorie I, la pomme doit faire 65 mm de diamètre minimum pour les gros fruits et 55 mm pour les petits fruits. Avec une homogénéité de 5 mm si les pommes sont rangées, mais seulement de 10 mm si elles sont en vrac (règlement CEE n° 1619/2001 (JOCE du 09/08/01)). Il va sans dire que rien n’a échappé aux fonctionnaires de l’UE, poire, poireau, prune, raisin de table, banane, kiwi, pastèque, chou de Bruxelles... De prime abord, on pourrait penser que ce niveau de réglementation revient à épiler une armée de chenilles. Néanmoins, si l’on pense à l’ampleur du travail que ces classifications engendrent (une armée de fonctionnaires qui auscultent à la loupe chaque tomate, un mètre à la main pour vérifier si la cicatrice liégeuse au point pistillaire fait plus ou moins un cm2), en voilà une bonne solution pour venir à bout du chômage ! Avec la décision de l’UE, l’eugénisme agricole touche à sa fin. Bientôt, les carottes tordues, les pommes de terre bossues, les tomates plus rouges que la moyenne, les légumes différents, donc, vont revenir en force sur les étals européens. Haro sur l’uniformité, vive la diversité ! Alors, messieurs, dames les Américains, vous en pensez quoi du rêve européen ?
Depuis ce grand mardi 4 novembre, le monde n’en finit plus d’analyser comment l’Amérique a osé le changement. Osé élire un président noir. Et elle revenait de loin, l’Amérique, qui ne s’était résolue à abolir les lois ségrégationnistes qu’en 1945. « Le rêve américain est de retour », « They did it », titrent les journaux. Et bien, de l’autre côté de...