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Actualités - OPINION

A lire Obama, une quête d’appartenance

d’Émilie SUEUR Ce devait être un devoir. Puisque Barack Obama est appelé à diriger la première puissance mondiale pour les quatre années à venir, difficile d’échapper aux 450 pages de son autobiographie Dreams from my father. Rapidement toutefois, l’exercice s’est transformé en véritable plaisir. Plusieurs raisons à cela. La plume d’Obama d’abord. L’homme est non seulement un orateur-né, mais aussi un écrivain talentueux. Obama sait raconter une histoire, surtout la sienne. Outre le style fluide et direct, Dreams from my father est remarquable pour la fraîcheur, l’honnêteté, voire la candeur, de certains passages. De fait, quand la première édition de cette autobiographie a été publiée en 1995, Obama n’avait pas 35 ans. Un éditeur – au flair particulièrement aiguisé – lui en avait passé commande quand Obama devint le premier rédacteur en chef noir de la prestigieuse Harvard Law Review. Rêvait-il déjà à l’époque de la Maison-Blanche ? Possible, mais probablement pas de manière ouverte, d’où un récit qui évite le travers classique de l’autopublicité hypercontrôlée des biopolitiques. Ensuite, la vie d’Obama est, en soi, un roman. De Hawaï à Djakarta en passant par Chicago et Nairobi, le jeune homme est un agglomérat de cultures et d’origines différentes. Avec en trame de fond – et là se trouve véritablement l’intérêt de l’ouvrage – la quête fiévreuse d’identité et d’appartenance d’un jeune homme né d’une mère blanche américaine et d’un père noir kényan dans une société où le métissage n’est pas la règle. « La peur constante, paralysante, de ne pas appartenir à quelque chose, qu’à moins de ruser, de me cacher et de prétendre être quelque chose que je ne suis pas, je resterai à jamais un intrus, le reste du monde, noir et blanc, attendant de me juger », écrit Barack Obama. Cette quête d’identité fut difficile, face à l’absence de réponse évidente. « Junkie. Fumeur de haschich. C’est ce vers quoi je me dirigeais : le rôle final et fatal du jeune qui aimerait être noir... Je me défonçais pour sortir de ma tête les questions sur qui j’étais. » Une quête marquée par des moments douloureux, comme ce jour où sa grand-mère blanche a peur d’un mendiant noir qui la harcelle à l’arrêt de bus. Perturbé par cet événement, Obama va voir Frank, un ami noir de son grand-père, qui explique que sa « grand mère a raison d’avoir peur. (...) Elle comprend que les Noirs ont des raisons de haïr ». « La terre se mit à trembler sous mes pieds, prête à se fendre à n’importe quel moment. Je me suis arrêté, essayant de me calmer, et j’ai su, pour la première fois, que j’étais complètement seul », réalise alors Obama. Ce rapport ambigu à la communauté blanche, incarnée à la fois par l’amour de sa mère et de ses grands-parents maternels, mais également par certains individus qui n’hésitent pas à faire des bruits de singe à l’évocation de son nom, complique également une intégration militante à la communauté noire. « Alors que je m’imaginais suivre l’appel de Malcolm X, une phrase, dans son livre, me retenait, écrit Obama. Il évoquait le souhait qu’il avait eu, un jour, que le sang blanc qui coulait en lui, en raison d’un acte de violence, puisse d’une manière ou d’une autre être effacé. » De la même manière, alors que des camarades noirs le critiquent car il lit un livre « raciste » sur l’Afrique, Heart of Darkness, de Joseph Conrad, Obama tente de se justifier en expliquant que « ce livre lui apprend des choses sur les Blancs ». « Cela m’aide à comprendre comment les gens apprennent à haïr. » Alors qu’une camarade lui demande si c’est important pour lui, Obama se rappelle avoir pensé : « ma vie en dépend ». Sa quête d’appartenance a poussé Obama à devenir travailleur social dans la banlieue noire déshéritée de Chicago. Il n’avait pas trente ans et pensait déjà au changement, le thème central de sa campagne pour la présidentielle. « Voilà ce que je vais faire. Je vais travailler à organiser les Noirs. La base. Pour le changement », écrit-il. Sa visite au Kenya s’inscrit dans le même schéma, la recherche de ses racines, le besoin d’appartenir à une communauté, mais au-delà également, la recherche d’un père, absent depuis son plus jeune âge et décédé quelques années avant son voyage. Lors de ce qui s’apparente à un pèlerinage, Obama rencontre sa famille kényane, ses tantes, sa grand-mère et une foule de demi-frères et sœurs. En arrivant à l’aéroport de Nairobi, il s’émerveille du fait que son nom ne pose pas de problème, qu’on le connaît même. « Pour la première fois de ma vie, je sentais le confort, la force de l’identité qu’un nom peut donner, comment il peut transporter toute une histoire dans la mémoire des gens. » C’est sur la tombe de son père, sous un manguier à Alego, que Barack Obama pleure enfin. « Je réalisais enfin que ce que j’étais, ce dont je me souciais, n’était plus simplement une question d’intellect ou d’obligation, n’était plus une construction de mots. J’ai vu que ma vie en Amérique – la vie noire, la vie blanche, le sentiment d’abandon que j’avais ressenti enfant, la frustration et l’espoir dont j’avais été témoin à Chicago – tout ça était connecté avec ce petit bout de terre, distant d’un océan, connecté par bien plus qu’un nom ou la couleur de ma peau. La souffrance que je ressentais était celle de mon père. Mes questions étaient celles de mes frères. Leur bataille mon patrimoine. » Alors que le monde se globalise, que nous ne vivons plus nécessairement là où nous sommes nés, que nous voyageons, rencontrons d’autres individus nés dans d’autres pays, sur d’autres continents, la quête d’identité et la volonté, voire la possibilité, d’appartenir à une communauté, sont des débats de plus en plus centraux. Peut-être est-ce pour cela aussi qu’au-delà des frontières américaines, Barack Obama a suscité une tel élan d’enthousiasme.
d’Émilie SUEUR

Ce devait être un devoir. Puisque Barack Obama est appelé à diriger la première puissance mondiale pour les quatre années à venir, difficile d’échapper aux 450 pages de son autobiographie Dreams from my father. Rapidement toutefois, l’exercice s’est transformé en véritable plaisir. Plusieurs raisons à cela.
La plume d’Obama d’abord. L’homme...