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Actualités - CHRONOLOGIE

Salon du livre francophone Un saut dans le vide… Edgar DAVIDIAN

La littérature contre la vie ou vice versa ? Dans un irrépressible besoin de liberté et de renaissance, tels semblent être l’enjeu et l’interrogation du volumineux livre, « Cercle », de Yannick Haenel.* Deux prix (Prix Décembre 2007 et Prix Roger Nimier 2008) et une opinion publique controversée des lecteurs (eux les communs des mortels, non rompus à la sophistication des littérateurs) pour le quatrième roman, Cercle, de Yannick Haenel (Gallimard, 500 pages), en vitrine du Salon du livre francophone de Beyrouth. Lourd pavé de pages où la littérature et la vie s’empoignent… L’une contre l’autre, à qui le triomphe ? Aux mots ou à la grisaille du quotidien ? C’est le secret que nul n’élude, comme dirait le Voyant… Édité dans la collection L’infini, dirigée par Philippe Sollers, cet ouvrage est à la fois rêverie, réflexion, méditation, errance culturelle et historique, mais aussi lyrisme sans retenue, poésie qui prend feu de tout bois et surtout histoire d’un mec dont la vie, un jour, bascule dans le vide…Un vide qu’il tente de remplir justement par ce ruissellement sans fin de phrases. L’idée du départ n’est ni nouvelle ni originale, mais sans nul doute dangereuse et source d’irrationnel. Jean Deichel, par un parisien matin printanier, sans crier gare, décide de faire un saut dans le vide et tout plaquer : travail, couple, appartement. Une croix sur le passé et hop, comme tous les Kerouac du monde, la route devant soi. Ras-le-bol, coup de folie, besoin de fuite, de libération, d’évasion, d’infini, clochardise élégante d’un intellectuel désabusé ? La dérive, l’ivresse du vertige, la désertion, le vagabondage ? Tout cela à la fois, mais c’est surtout le sens de l’émerveillement et l’urgence d’une renaissance qui conduisent ce personnage brusquement en dehors des contraignantes limites de l’ordre établi, du morose « establishment », des conventions sécurisantes. Débute alors cette longue marche, cette cahotante pérégrination (de Paris à Varsovie, en passant par Berlin), cette quête (de quoi au juste, nul ne le saura) comme dans une Divine comédie, stridente de modernité, où l’être tâtonne pour trouver un fil d’Ariane. Mais justement, voilà que sous les traits d’une femme brune dans une robe coquelicot, au visage très blanc, apparaît Anna Livia. Danseuse chez Pina Bauch, cette figure féminine est emblématique des besoins érotiques (et de cette phrase trop banalisée « La femme est l’avenir de l’homme »…) d’un personnage livré à tous ses démons (ou anges, comment le savoir?) de libération pour « reprendre vie »… Comme un caillou qu’on lance sur une surface d’eau lisse, l’onde se répand en cercles concentriques qui s’élargissent jusqu’à l’infini. Et c’est ainsi que se répandent les mots et les phrases, mais aussi chiffres arabes, romains, humour, jeux typographiques, dessins, autodérisions et scènes potaches de Yannick Haenel. De cette rupture soudaine, de ces amarres brusquement rompues, naît une prose ambulatoire et (trop) riche engrangeant couleurs, sensations, impressions, états d’âme, commentaires sur des œuvres d’art (Giacometti, Moby Dick, Joyce, les spectacles de Bauch, pour ne citer qu’eux dans un foisonnant univers où sont « opulemment » représentées toutes les facettes de l’art), des remous intérieurs, de brûlantes descriptions érotiques… Il est évident que ce roman (par certains aspects, quant à ses surabondantes références culturelles, proche du Voyage à Naucratis de Jacques Almira, Prix Medicis 1975) n’est pas d’un abord facile et encore moins d’une lecture aisée. Surtout si on n’est pas dans les stratosphères culturelles ultrachics et branchées où évolue un personnage qui semble avoir fait sienne la formule de Heidegger : « Le langage est-il l’issue, le sauvetage de la vie ? » Bien sûr, l’abracadabrante histoire de Jean Deichel n’est ici que pur prétexte pour la magie du verbe. Dans ce substitut à la vie, il y a une prose déchaînée, une sorte de parcellaire état des lieux d’une culture (bourgeoise, éclectique aussi), certains détails d’une tranche de l’histoire, notamment celle de Berlin avec ses ombres noires, une contestation du système social, une sourde révolte contre l’enfer moderne. Un bric-à-brac d’idées et de situations qui font de ce roman touffu une promenade littéraire, culturelle et géographique, un peu décousue et désordonnée. Un type qui décide de vivre sa vie, c’est tout ce houleux charivari de mots ? Une déferlante de mots où le brio de certains passages le dispute à de petites notes épinglées en aide-mémoire d’un carnet d’écrivain. Pour ce voyage littéraire initiatique, aux confins de l’ésotérique, Cercle, de Yannick Haenel, n’est certainement pas une lecture de tout repos. Il faut s’y accrocher dur pour retrouver, en guise de récompense, « la substantifique moelle » dont parle Rabelais… * L’auteur signera son ouvrage ce soir, à 20h30, au stand de la librairie Antoine.
La littérature contre la vie ou vice versa ? Dans un irrépressible besoin de liberté et de renaissance, tels semblent être l’enjeu et l’interrogation du volumineux livre, « Cercle », de Yannick Haenel.*
Deux prix (Prix Décembre 2007 et Prix Roger Nimier 2008) et une opinion publique controversée des lecteurs (eux les communs des mortels, non rompus à la sophistication des...