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Actualités - OPINION

Les errances sataniques L’analyse de Michel HajJi Georgiou

... Car il faut savoir aussi se montrer reconnaissant lorsque les pérégrinations géopolitiques de nos « patriarches » politiques permettent à chacun de sortir, sur le plan de la réflexion, de l’exiguïté du territoire libanais, et découvrir ces « paradis » terrestres, ces modèles célestes, que sont l’Iran d’Ahmadinejad, et pourquoi pas aussi, populisme oblige gloria in excelsis deo, le Venezuela de Chavez... Ainsi, à en croire ces hidalgos bien de chez nous, dont Cervantes eut tiré grande gloire en son temps, Téhéran serait devenu le chantre du respect de « la liberté de culte et de croyance », une ville « propre » qui « ne se salit pas », où, heureusement, « l’ordre règne », absolu-ment. Fort bien. On sait, depuis Wilhelm Reich, que l’irrationalité est le pain sacré des mouvements réactionnaires et que le fanatisme est follement épris de sa propre vérité, dût-elle tenir plus de la déraison que de la logique élémentaire. Ami, parmi les lecteurs, qui t’apprête, comme chaque semaine, à m’adresser, par courrier électronique, ton affectueux chapelet d’injures parce que j’ose mettre en doute la parole immaculée et sacralisée de ton chef suprême, dirige tes talons en arrière et non en avant (Isidore Ducasse, pardon) : ce que je suis sur le point d’écrire au sujet de l’Iran en matière de libertés publiques et de droits de l’homme, je le pense, par ailleurs de l’ensemble des pays arabes, l’Arabie saoudite comprise. Aussi faut-il attendre de pied ferme le jour où un nouvel hidalgo viendra vanter en public les vertus de l’Arabie dans ce domaine pour pouvoir lui adresser le même propos. * * * L’Iran, terre de « liberté de culte et de croyance » ? Sayyed Hussein Kazemini Boroujerdi pourrait témoigner de l’originalité de l’affirmation. Théoriquement. L’ennui, c’est qu’il ne le peut même pas. L’ayatollah, qui prône la séparation de la religion et de l’État au pays du wilayet el-faqih, a été condamné à la prison à vie en raison de ses croyances, et sa vie est actuellement en danger en raison de la détérioration de son état de santé. Son père, l’ayatollah Mohammad Ali Kazemini Boroujerdi, est mort dans des conditions mystérieuses en 2002, sa mosquée a été confisquée et ses partisans font l’objet d’une chasse aux sorcières menée par les autorités. Évidemment, le cas d’un religieux qui prône la laïcité en Iran ne saurait intéresser le fils chéri d’une institution laïque, l’armée, et le chef d’un parti qui a, dix-sept ans durant, prétendu porter haut l’étendard de la laïcité. C’est d’ailleurs inscrit noir sur blanc dans la charte du CPL. Non, les bras ouverts, protecteurs et rassurants de ce parangon des libertés, de la citoyenneté et de l’État civil qu’est Mahmoud Ahmadinejad sont autrement plus séduisants. Le même Ahmadinejad qui appelait, il n’y a pas si longtemps, les étudiants à « purger l’université de ses enseignants laïcs et libéraux ». Faut-il poursuivre l’interminable énumération des atteintes aux libertés et aux droits fondamentaux perpétrées au quotidien en Iran ? Faut-il parler de la détention arbitraire ou de l’incarcération d’Arash et Kamir Alaii (médecins chercheurs), de Mohammad Sadiq Kaboudvand, Farzad Kamangar, Mansour Osanloo et Emad Baghi (syndicalistes et militants des droits de l’homme), accusés d’avoir « porté atteinte au prestige du régime » ou d’avoir « comploté pour renverser l’État » ? Ou encore des véritables chasses aux homosexuels et bloggeurs, des exécutions de délinquants juvéniles, des atteintes aux droits de la femme, voire de la peine de mort ? Non, tout cela n’intéresse guère les nouveaux pèlerins de Téhéran qui érigent désormais l’Iran en modèle de liberté, quand bien même ils n’ont pas oublié que certains de leurs cadres (notamment Adonis Akra), professeurs à l’UL, avaient été, au Liban, pourchassés, accusés d’enseigner la « philosophie aouniste dans les universités », emprisonnés avec les mêmes arguments par le régime totalitaire siamois de Damas. Même une réflexion sur cette incarcération du 7 août 2001, un livre intitulé Lorsque mon nom est devenu 13, avait fait peur au régime ici, qui en avait interdit la parution, intentant des poursuites contre l’auteur... De toute évidence, il n’y a rien de mieux qu’une bonne dose de géostratégie pragmatique pour oublier et pardonner... à ceux à qui l’on veut bien pardonner. Faut-il enfin parler de Salman Rushdie et de ses Versets sataniques et rappeler la condamnation à mort de l’écrivain par l’imam Khomeyni, ainsi que toutes les fatwas, les appels aux meurtres et les attaques contre lui, reprises d’ailleurs ici par des cadres supérieurs du Hezbollah ? * * * Mais Michel Aoun n’a que faire de Shirin Ebadi. Elle ne lui permettra pas de gagner les élections de 2009. Michel Aoun ne voit en effet que la situation des minorités en Iran. Pour mieux radicaliser et diviser, au Liban, les sunnites, les chiites et les chrétiens. Pour renforcer cette culture de l’exclusion, raison d’être du 8 Mars, et détruire la culture du lien générée le 14 mars 2005. Pour mieux hypnotiser le peuple, on prétend ainsi que les chrétiens d’Iran bénéficient d’une protection exemplaire, alors que les chrétiens d’Irak se font massacrer, en Irak, « sous les yeux impassibles des forces d’occupation américaines ». On continue ainsi d’aligner les chrétiens d’Orient sur la Perse et de les éloigner de leur raison d’être, la culture occidentale. Mais là aussi, sur la situation des chrétiens en Iran, il y a manipulation, il y a mensonge. Car, en Iran, la persécution des minorités chrétiennes est une politique d’État menée de la manière la plus pernicieuse qui soit. À titre d’exemple, la loi iranienne exige que tous les chrétiens se conforment aux codes vestimentaires, à la prohibition de l’alcool et à la séparation des genres en public. Le ministère de l’Éducation insiste pour que les directeurs des écoles soient musulmans, que tous les cours soient donnés en persan, que toutes les classes de littérature arménienne aient reçu une approbation de l’administration et que toutes les étudiantes observent le port du hijab en classe. Et ce n’est là qu’un petit exemple de cette phénoménale « liberté de culte et de croyance ». Il suffit de se saisir d’un rapport de Human Rights Watch ou d’Amnesty International pour s’en rendre compte, ou bien d’écouter et de lire les médias. Mais, selon Michel Aoun, les médias mentent, tandis que le régime iranien et le Hezbollah disent toujours la vérité. * * * Qu’importe, de toute façon. L’essentiel, et cela Michel Aoun – nouvellement venu, après tout, dans le monde de la surenchère chrétienne – ne l’a toujours pas compris, ce n’est pas tant d’assurer la protection des minorités chrétiennes que d’assurer la diffusion d’un climat de liberté et de citoyenneté sans lequel les chrétiens disparaîtraient immédiatement et naturellement de leur environnement. Défendre l’Iran parce qu’il « protège » soi-disant les minorités chrétiennes, c’est en effet considérer les chrétiens comme des dhimmis qui ont besoin de protection ; c’est se placer soi-même dans une logique de dhimmitude, là où c’est la logique du binôme liberté-citoyenneté qui devrait l’emporter. Cela pourrait expliquer en grande partie d’ailleurs, pour reprendre l’idée du professeur Antoine Courban, la haine que le général voue aux sunnites, et qui serait, dans le même esprit de dhimmitude, liée au complexe nostalgique de l’Empire ottoman comme protecteur-oppresseur ; et peut-être, aussi, le report de ce protectionnisme sur la nouvelle mère tutrice et bienfaitrice, Téhéran l’immaculée, la « propre ». Qu’importe, encore une fois. L’essentiel, dans les errances de cette logique, c’est que « l’ordre règne » à Beyrouth... comme à Téhéran.
... Car il faut savoir aussi se montrer reconnaissant lorsque les pérégrinations géopolitiques de nos « patriarches » politiques permettent à chacun de sortir, sur le plan de la réflexion, de l’exiguïté du territoire libanais, et découvrir ces « paradis » terrestres, ces modèles célestes, que sont l’Iran d’Ahmadinejad, et pourquoi pas aussi, populisme oblige...