Éclairage La guerre des cartels fait rage au Mexique

L’escalade de violence, près de 400 morts en 15 jours, serait due à la montée de la consommation locale de cocaïne, jusqu’alors surtout produit d’exportation. Six jeunes gens « exécutés » contre un mur, cinq morts dans l’assaut contre un repaire où un cadavre a été retrouvé dans le congélateur, un policier arrêté pour 24 meurtres... Au Mexique, la guerre des cartels de la drogue a fait près de 400 morts ces deux dernières semaines. Dans l’épisode le plus récent, six jeunes gens âgés de 20 à 25 ans ont été fusillés jeudi dernier contre un mur de Ciudad Juarez, la ville réputée la plus dangereuse du pays, à la frontière américaine face à El Paso (Texas). Bilan local : plus de 1 000 morts depuis le début de 2008. L’une des victimes, avant de mourir, a désigné les tueurs : des hommes d’un cartel, qui les accusaient de vendre de la drogue pour un cartel rival. Les tueurs ont tiré plus de 100 cartouches, et ont laissé un mot sur place : « Message pour tous les rats, ça va continuer ». La veille, un soldat et quatre bandits avaient été tués à Tijuana, toujours à la frontière des États-Unis, face à San Diego en Californie, dans une maison où un cadavre était caché dans un congélateur : un homme d’un gang rival, séquestré et assassiné. La guerre des cartels, qui dure depuis des années au Mexique, connaît une nette escalade depuis août : ici 12 corps décapités, ailleurs 24 cadavres empilés les uns sur les autres dans un assassinat collectif pour lequel un commandant local de police vient d’être arrêté. Selon les dernières compilations de la presse, le bilan du « crime organisé », comme on désigne ici les cartels, s’élève à 387 assassinats pour la seule première quinzaine d’octobre, et à plus de 3 800 morts depuis le début de 2008. Le secteur d’opérations est concentré dans le Nord, près de la frontière, entre Tijuana et Ciudad Juarez. C’est le couloir du transit de la drogue vers les États-Unis, principal client de la production mondiale de cocaïne, 950 tonnes issues exclusivement d’Amérique latine. Tijuana est le fief attitré du cartel des frères Arellano Felix, mais des groupes concurrents le leur disputent maintenant. À Ciudad Juarez et dans tout l’État de Chihuahua, le cartel de Juarez, le plus ancien du Mexique, dirigé par la famille Carillo Fuentes, est en guerre sanglante contre le cartel dit de Sinaloa, celui du fugitif Joaquin « Chapo » Guzman, en cavale depuis son évasion d’un pénitencier américain en 2001. Et des « dissidents » se mêlent à la lutte, pour une part du gâteau. La nouveauté, qui explique vraisemblablement l’escalade actuelle, tient à la montée de la consommation locale de cocaïne, jusqu’alors surtout produit d’exportation. Le Mexique « n’est plus seulement un pays de transit de la drogue vers les États-Unis, mais devient un important marché de consommation », a confirmé récemment le procureur général fédéral, Eduardo Medina Mora. La consommation nationale de drogue « a augmenté de près de 30 % entre 2002 et 2008, et pratiquement de 100 % pour la seule cocaïne », a-t-il ajouté en citant une enquête fédérale. Les cartels s’entretuent, et emploient autant de cruauté meurtrière à « marquer leur territoire » face aux autorités mexicaines qui ont déployé contre eux plus de 36 000 policiers et militaires : l’attentat à la grenade en pleine foule à Morelia, qui a fait huit morts le 15 septembre pendant la célébration de la fête nationale, était un « avertissement au gouvernement », selon un des deux suspects arrêtés. Et les autorités américaines, qui collaborent étroitement avec le Mexique dans la lutte contre le trafic de drogue, croient voir la marque des cartels dans l’attentat commis dans la nuit du 11 au 12 octobre contre leur consulat à Monterrey, cible d’une grenade qui n’a pas explosé. Jamais encore une telle attaque n’avait été commise contre un bâtiment officiel des États-Unis au Mexique, a-t-on souligné de source diplomatique américaine.