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Actualités - CHRONOLOGIE

Expositions Pour cause de déménagements Maya Ghandour Hert

Rue Abbas el-Moussaoui, immeuble Yassine. C’est au cœur du carré sécuritaire rasé par l’aviation israélienne que se trouvait Ayman Baalbaki en juillet 2006. Voir sa maison transformée en… rien marque indubitablement l’homme qui inspire à l’artiste une exposition intitulée « Transfiguration apocalyptique ». Un bidon d’essence, un matelas, une valise, des cuillères en bois, un broc et une casserole, le tout fagoté et enduit d’une peinture dorée… Ce paquet exhibé en devanture de la galerie Agial interpelle le passant de la rue Abdel Aziz. Cette œuvre artistique (car c’en est une !), intitulée Anatomy of wandering, donne un aperçu assez éloquent du message de l’artiste qui illustre là toute une histoire personnelle liée aux déplacements perpétuels, aux destructions massives et à la mort. La boule à zéro, deux anneaux à l’oreille gauche, l’œil bleu Méditerranée, un total look noir et une courtoisie exemplaire caractérisent l’artiste de trente-cinq ans. De Adayssé à Tall el-Zaatar, de Wadi Abou Jmil à la banlieue sud : le passé d’Ayman Baalbaki est jalonné de déménagements répétitifs. « À chaque fois, c’est le même “folklore”, raconte-t-il avec une « zénitude » extrême. Les déplacés fuyant les massacres, la guerre ou les bombardements aveugles emportent avec eux, sur le dos de la voiture, ce qu’ils considèrent comme l’essentiel à leur survie, ou l’essentiel tout court : des matelas pour dormir, un bidon pour l’essence et un autre pour l’eau, quelques ustensiles de cuisine, parfois même un mouton ou des poules. » Baalbaki transpose alors ces éléments basiques de survie, devenus dans l’imagerie populaire l’emblème par excellence du déplacé, et il les érige en œuvre d’art. La dorure à la feuille d’or rappelle l’art de l’icône. « Cette couleur, symbole de la lumière éternelle (lumière divine ou lumière de l’intelligence), est là pour leur octroyer une dimension sacrée. » Le kitsch devient sacro-saint. Chez Baalbaki, le martyr aussi est « kitschisé ». Comme le fait si justement remarquer le critique Joseph Tarrab dans le catalogue de l’exposition, en commentant une œuvre intitulée Al-Ayn bil Ayn : « Une sorte d’iconostase exhibe les portraits ou les icônes non de saints, mais de soldats, de policiers, de prisonniers, de combattants prêts à l’affrontement : revendication, rébellion, répression, autre vis à spirale sans fin. C’est la devanture d’un magasin au rideau de fer doré à la feuille et orné d’une enseigne rouge sang :“ Œil Pour Œil”. La boutique du Moyen-Orient – et du monde – ne vend qu’une seule marchandise : la violence. La vitrine et la feuille d’or utilisée à profusion distancient par dérision et “kitchisation” le double processus de sacralisation du mercantile et de mercantilisation du sacré. » De rage et de douceur L’œuvre de Ballbaki est une œuvre énergétique, viscérale, à la sincérité évidente. Elle peut avoir ses rages, mais aussi ses douceurs. Elle s’élabore grâce à son élan instinctif ; compose ses cheminements par l’habitude gestuelle, ses teintes en fonction d’états d’âme que le désir de créer n’analyse pas. « Aucun artiste ne réussit à dissimuler ses origines, écrit Alain Tasso à propos de Baalbaki… Dans ce travail récent, l’ambition de l’artiste – celle de figurer le drame dans lequel ses acolytes semblent s’y plaire – est au départ une nécessité profonde qui s’extériorise en créativité. Quelques teintes sombres, des concentrés sur toile font ressortir, à partir d’un gris équivoque, les noirs les plus intenses et les blancs les plus tristes. Il s’y dégage une musique qui chevauche entre requiems et Stabats Maters… Pour lui, la guerre sert d’alibi. Loin de résoudre, loin de relater une expression belliqueuse, son ballet factuel, diurne ou vespéral, répond par l’image à la condition même de l’existence : le drame. Depuis la Genèse. Qui pour voir, qui pour ressentir ? » Sur un paysage de destruction massive, Ayman Baalbaki jette une pluie de fleurs et fait de cette peinture une pure expression picturale de l’angoisse de la guerre. Il l’intitule Lève-toi Sisyphe. Et il écrit « Sisyphos » en toutes lettres de néon sur la toile. L’héros antique symbolise pour les uns la quête de liberté, pour d’autres la fidélité à soi-même. Il représente la persévérance et le perpétuel recommencement des hommes dans leurs luttes. Il fait penser aussi à l’espoir. Qui sait si Sisyphe ne parviendra pas un jour à maintenir en haut de la montagne la pierre qui roule sans cesse l’obligeant à recommencer son ascension ? Ayman Baalbaki, lui, évoque la damnation éternelle, cette sorte de fatalité liée à la condition des Libanais qui sont contraints à suivre le cycle de destruction-construction-déplacement à l’infini. Tandis que Baalbaki livre avec sa peinture une vision tourmentée et sombre de la vie, certaines œuvres interrogent avec subtilité un réel plein d’évanescence et de délicatesse poétique « reflétant la vie de ces gens qui, même au milieu de la grisaille de leur quotidien, gardent un espace fleuri sur leurs habits, leurs meubles et tout au fond de leurs cœurs ». Une œuvre à la fois étrange et familière, lointaine et intime. À suivre.
Rue Abbas el-Moussaoui, immeuble Yassine. C’est au cœur du carré sécuritaire
rasé par l’aviation israélienne que se trouvait Ayman Baalbaki en juillet 2006. Voir sa maison transformée en… rien marque indubitablement l’homme qui inspire à l’artiste une exposition intitulée « Transfiguration apocalyptique ».
Un bidon d’essence, un matelas, une valise, des...