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Actualités - OPINION

I - Nation ou pas nation?: telle est la question? Et Lutèce devint Paris…

Toujours, pour intérioriser une ville, je dois trouver un point d’ancrage, un point de départ à partir duquel j’explore la ville et j’apprends à la connaître intimement. C’est comme l’anatomie d’un corps qui révèle son fonctionnement et met en évidence sa singularité. Souvent, c’est le centre-ville pour les villes de petite ou moyenne dimension, mais les grandes métropoles ont toujours plusieurs centres car sur l’étendue et selon leur histoire, leur centre se déplace. Certes, chaque ville s’incarne, selon le besoin, dans un monument ou un site qui la caractérise, la représente et la résume, qu’elle exporte et à partir duquel elle définit et construit son identité. C’est souvent, selon le cas, le résultat d’une évidence incontournable, à la suite d’un arrangement tacite ou d’un compromis fortuit qui prend avec le temps, tel un surnom devenu patronyme, le pouvoir de l’association et de l’ordre établi. Parfois c’est la ville d’origine (cœur historique) ou un monument récent symbolique que la mémoire collective tardivement investit. Certaines villes, grâce à leurs richesses culturelles multiples et leur histoire tumultueuse, vous laissent la possibilité de choisir entre plusieurs repères. À Paris, il est presque impossible de définir des espaces géographico-historiques continus et délimités, c’est pêle-mêle des vestiges évoquant la royauté, l’empire, les révolutions sociales (1789-1830-1848-1968) et les expositions universelles (révolutions technologiques, 8 expositions à Paris entre 1844 et 1937), mais plutôt que la tour Eiffel, le Trocadéro, le grand Palais, l’Arc de triomphe, la Concorde, les Tuileries, le Louvre, les Invalides, le Panthéon, l’Assemblée nationale, la place de la Bastille, la place de la République, la place de la Nation… j’ai toujours préféré commencer mon périple par le début?: l’île de la cité (avec la Sainte Chapelle, la Conciergerie, Notre-Dame et la statue de Charlemagne) et l’île Saint- Louis. C’est là qu’habita l’homme du néolithique au début du Ve millénaire et qu’une peuplade celtique, les Parisii, établit son village, Lutèce, au IIIe siècle avant notre ère. À la fin du Ve siècle, Lutèce devient Paris et Clovis (481 à 511), premier roi barbare converti après la chute de l’Empire romain d’Occident (476), s’y établit. La Gaule fut occupée durant presque cinq siècles par les Romains (-52, bataille d’Alésia et défaite de Vercingétorix face à Jules César). Mais parmi les 69 rois de France qui se succédèrent, de Clodion le chevelu (428) jusqu’à Louis-Philippe 1er (1848) durant trois dynasties?: Mérovingiens (17 souverains, 428-751), Carolingiens (15 souverains, 752-987) et Capétiens (37 souverains, 987-1848), saint Louis semble se détacher, car c’est le seul qui allie la royauté à la sainteté. Certes, il y a eu d’autres rois de France dont Clovis, qui se fait baptiser à Reims (498), fondant le royaume des Francs, Charlemagne dont la capitale fut Aix-la-Chapelle (Allemagne) qui se fait sacrer par le pape Léon III à Rome le jour de Noël 800 en tant qu’empereur des Romains (Empire romain d’Occident qui correspond à l’Occident européen actuel) et d’autres grands monarques, grands politiques, conquérants et bâtisseurs (Philippe II Auguste, Philippe IV le Bel, Charles V le Sage, Louis XI, François 1er, Henri IV le Grand, Louis XIV le Grand …), mais le saint roi capétien conserve grâce à sa double «?sacralité?» une place à part. Son souvenir demeure lié à la justice (qu’il rendait sous un chêne dans son château de Vincennes, le Versailles du Moyen Âge, où il a toujours sa statue), à la charité et l’enseignement (il fonda des hôpitaux et des écoles, «?si ma naissance ne m’avait fait roi, je me serais fait professeur?») et à la religion (il fit construire la Sainte Chapelle,1241-1248, pour recevoir la couronne d’épines et les reliques de la Sainte Croix, conservées aujourd’hui à Notre-Dame de Paris, qu’il acheta à l’empereur Baudoin II de Constantinople). La Sainte Chapelle est une véritable merveille architecturale, une véritable châsse de verre (plus de 1 300 vitraux), les contreforts extérieurs permettant l’installation d’immenses verrières. À l’instar de la chapelle Sixtine au Vatican, la Sainte Chapelle de Saint Louis provoque chez le visiteur un éblouissement esthétique quasi mystique. Saint Louis, par ailleurs, participe aux deux dernières croisades (la 6e et la 7e), meurt d’une dysenterie devant les murs de Tunis (1270) et est canonisé par le pape Boniface VIII, vingt-sept ans plus tard (1297). Avec Saint Louis, le prestige culturel et moral français dépasse les frontières. C’est d’ailleurs avec saint Louis que le lien s’établit pour les siècles à venir avec les maronites du Liban (charte de Saint Louis du 21 mai 1250). Certes cet événement, qui au départ est un acte de guerre agressif, se transforme au fil du temps en un élément culturel structurant et offre un ancrage de l’Occident en Orient, et surtout une ouverture de l’Orient sur l’Occident. Saint Louis révèle l’aspect religieux comme un des éléments structurants de l’identité. Toutefois, les 69 rois (428-1848) ne suffisent pas à couvrir toute l’histoire de France. Il reste l’empire (dans ses deux versions) et la République (dans ses cinq éditions). Les deux empires suivent la première (1792-1799) et la deuxième république (1848-1852) qui succèdent elles-mêmes à deux révolutions, celle de 1789 (contre Louis XVI) et celle de 1848 (contre Louis-Philippe). Les deux empires se terminant tragiquement par deux défaites?: celle de Waterloo (1815) et celle de Sedan (1870). Certes, il y a des rois qui ont agrandi leur royaume par l’épée à la dimension d’un empire (tels Charlemagne, 771-814 et Louis XIV,1643-1715), mais ils se situent dans une continuité dynastique alors que les deux empires sont dans la rupture consécutive à des coups d’État, même s’ils instituent entre eux deux un semblant de dynastie. Napoléon III, neveu de Napoléon 1e, ne lui succède pas directement, mais en renversant par un référendum la IIe République, il récupère toute la légitimité impériale et joue sur les similitudes symboliques des dates (le 2 décembre, proclamation du 1er empire, le 2 décembre 1852, celle du 2e empire). À partir de 1870 et à la suite de l’impossibilité de restaurer la royauté (le comte de Chambord, petit-fils de Charles X, ayant refusé d’accepter le drapeau tricolore), la République s’installe durablement?: la IIIe République (1870-1946), la IVe République (1946-1958) et la Ve République depuis 1958, établie par le général de Gaulle qui sauve la France durant la Seconde Guerre mondiale et revient au pouvoir en 1958 après le début de la guerre d’Algérie pour le quitter dix ans plus tard au lendemain de la révolution de mœurs de mai 68. De Clovis (481-511) au général de Gaulle (1958-1969), la France demeure une nation quelle que soit la forme de son gouvernement. Certes, certaines de ces guerres sont perçues négativement par ceux qui en firent les frais (Saint Louis et les croisades, Louis XIV et ses conquêtes, Napoléon 1e et les guerres napoléoniennes, les guerres coloniales), mais ces guerres sont justifiées dans l’inconscient collectif par l’appartenance nationale. D’où le fait que des hommes politiques continuent à écrire des livres exaltant ces figures nationales. La notion de nation est elle-même ambiguë, elle est structurante et agressive à la fois. Toutefois, deux contraintes semblent en France entraver le discours national. Tout d’abord la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (issue du siècle des Lumières, suite à la Révolution française) qui demeure la «?référence absolue?» en matière de droits individuels, ayant elle-même inspiré la Déclaration des droits de l’homme des Nations unies de 1948 (dont nous célébrons cette année le 60e anniversaire). Néanmoins, vous ne pouvez pas être à la fois dans une dimension universelle et dans une dimension nationale. Ce sont deux dimensions structurantes différentes et deux vocations qui peuvent s’avérer divergentes, voire contradictoires. En essayant de promouvoir un modèle universel, exportable, la France renonçait à treize siècles de royauté (481-1789). Il y a là une véritable rupture historique qui n’a toujours pas été surmontée. Deuxièmement, la France, avec le projet européen (traité de Rome 1957, traité de Maastricht 1992), ne parvient toujours pas à concilier son appartenance nationale avec l’appartenance européenne (le renforcement de l’une se fait aux dépens de l’autre). Avec le projet européen, les 27 nations ont de la difficulté à se situer, surtout celles d’?entre elles qui ont voulu à un moment donné dominer en tant que nation l’Europe (la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne). On constate la différence avec les États-Unis qui se sont constitués dès le départ comme une seule et même nation (1776) avec une langue commune, une histoire commune et des pères de la nation. Certes, toute modification de l’équilibre démographique ou culturel peut en modifier l’identité (il en va de même au Liban à l’échelle des communautés). C’est un ajustement entre l’histoire et la géographie (physique et humaine modifiées par les moyens de communication). Si elles ne sont plus adaptées l’une à l’autre, il en résulte un dysfonctionnement et une perte de repères. Bahjat RIZK
Toujours, pour intérioriser une ville, je dois trouver un point d’ancrage, un point de départ à partir duquel j’explore la ville et j’apprends à la connaître intimement. C’est comme l’anatomie d’un corps qui révèle son fonctionnement et met en évidence sa singularité. Souvent, c’est le centre-ville pour les villes de petite ou moyenne dimension, mais les grandes...