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La décision du Conseil d’État : l’annulation est hors de question, mais le réexamen des dossiers est inévitable

Le décret 5247/94, qui a permis la naturalisation de plus de 150 000 personnes d’un seul coup, a eu, et continue d’avoir, une histoire mouvementée. C’est le mardi 21 juin 1994 que la signature du décret a été annoncée en plein hémicycle par le Premier ministre de l’époque, Rafic Hariri : ce texte avait été signé par M. Hariri, par le président de la République Élias Hraoui et par le ministre de l’Intérieur Béchara Merhej. Il n’avait pas été discuté en Conseil des ministres et avait été accueilli avec surprise par les ministres. La Ligue maronite a rapidement réagi en présentant un recours en annulation dudit décret, le 26 août 1994 auprès du Conseil d’État. Dans sa requête, la Ligue dénonce des vices de forme et des vices de fond : ainsi, selon elle, le fait que le décret a été promulgué sans avoir été débattu en Conseil des ministres est une raison de le faire annuler. Idem pour le fait qu’il a porté sur des dizaines de milliers de cas à la fois. La Ligue cite la naturalisation anticonstitutionnelle de Palestiniens, la naturalisation illégale ou frauduleuse de beaucoup d’autres, et le déséquilibre démographique et confessionnel qui en découle selon elle (arguant du fait que seulement un naturalisé sur quatre est chrétien). Pour que le Conseil d’État rende sa décision, il a fallu attendre le 7 mai 2003 : la décision porte le numéro 484/2003 (prise plus précisément par le Conseil des contentieux, la plus haute instance administrative, présidée par le Conseil d’État). Cette décision exclut une annulation pure et simple du décret, d’une part, parce que le Conseil d’État considère, ce qui est clair dans le texte, qu’il y a parmi ces naturalisés un bon nombre qui méritent la nationalité, et, d’autre part, il soutient qu’au niveau de la légitimité externe (en d’autres termes la forme), le décret est conforme aux normes. En effet, le Conseil a estimé que ce type de décrets ne requiert pas un débat en Conseil des ministres. Toutefois, le Conseil d’État a considéré qu’il n’en était pas de même au niveau de la légitimité interne (en d’autres termes le fond). Ce genre de décrets est en effet appelé individuel parce qu’il doit porter sur un seul dossier à la fois. Or le décret en question a entraîné la naturalisation de dizaines de milliers de personnes. Le Conseil, estimant qu’il est quasiment impossible d’étudier tous ces cas, a opté pour une autre solution. Dans sa décision, il demande au ministère de l’Intérieur de former des commissions qui réétudieront les cas un par un, afin de radier ceux qui ne méritent pas la nationalité. À ce moment, même si l’une ou l’autre des personnes auxquelles on aurait ôté la nationalité décidait de présenter un recours, ce serait auprès du Conseil d’État, mais celui-ci aurait alors le temps d’étudier son cas puisqu’il s’agirait d’un nombre limité de personnes, et non de milliers à la fois. Dans sa décision, le Conseil a cependant défini les principes généraux selon lesquels l’administration doit juger les dossiers, répartissant les personnes à qui la nationalité devrait être remise en question en quatre catégories (voir encadré). À signaler que suivant le principe de parallélisme des formes, la nationalité accordée par décret doit être ôtée par décret. Sur le plan pratique, deux commissions ont été formées au ministère de l’Intérieur après la décision, l’une composée de juristes, l’autre d’officiers. Ces deux commissions auraient déjà étudié quelque 2 000 cas, mais aucune annulation ou confirmation n’a encore été officiellement tranchée. Erreurs et injustices Outre les implications politiques de ce dossier (polémique sur l’implantation des Palestiniens), ou électorale (des milliers de naturalisés qui constituent désormais un poids électoral dans certaines régions), il y aussi un aspect social et juridique à ne pas négliger. Force est de constater qu’avec tous les atermoiements, quatorze ans sont passés depuis la promulgation de ce décret des naturalisations, et il y a donc des centaines de milliers de personnes qui sont libanaises depuis cette période-là, qui ont peut-être fondé des familles… A-t-on le droit de dire aujourd’hui à toutes ces familles que leur cas va être réétudié, et qu’il est possible qu’elles perdent de nouveau leur nationalité ? Qu’en est-il de ceux qui sont nés, depuis ? De l’avis de juristes, il est toujours possible maintenant, et même plus tard, d’ôter la nationalité à ceux qui l’ont obtenue à la base d’une manière frauduleuse, ou contrairement à la loi, parce que le recours en annulation de la Ligue maronite avait, en 1994, été présenté rapidement et dans les délais, même si la réponse du Conseil d’État s’est fait attendre. Toutefois, que fera-t-on, socialement parlant, de ces familles qui vivent en Libanais depuis tant d’années, et dont certains membres sont nés ici ? On n’en est pas encore là et la réponse n’est certainement pas simple. Mais ce dossier constitue un parfait exemple d’erreurs et d’injustices qui entraînent d’autres erreurs et d’autres injustices : ainsi, n’est-ce pas ce retard de plusieurs décennies à trancher les cas de personnes qui méritent réellement la nationalité (comme les habitants de Wadi Khaled, par exemple, et beaucoup d’autres), qui a mené à l’exploitation de cette question au temps de l’hégémonie syrienne pour naturaliser bien plus de personnes qu’il n’en faut ? Et n’est-ce pas ce décret boiteux qui oblige les responsables aujourd’hui à un réexamen laborieux de ces cas, afin de séparer le bon grain de l’ivraie ? Sachant que dans le cas contraire, si le statu quo persiste, ce dossier restera comme une plaie ouverte, et maintiendra un point d’interrogation sur la signification véritable de la citoyenneté et de l’identité libanaise. Comment expliquer aux femmes, par exemple, qu’elles n’ont pas le droit d’accorder la nationalité à leurs enfants nés d’un mari étranger, ni à ce mari en l’occurrence, alors que nos hommes politiques n’ont pas hésité un jour à naturaliser des milliers de personnes sans même examiner minutieusement leurs cas ?
Le décret 5247/94, qui a permis la naturalisation de plus de 150 000 personnes d’un seul coup, a eu, et continue d’avoir, une histoire mouvementée.
C’est le mardi 21 juin 1994 que la signature du décret a été annoncée en plein hémicycle par le Premier ministre de l’époque, Rafic Hariri : ce texte avait été signé par M. Hariri, par le président de la République...