Rechercher
Rechercher

Actualités

FEUILLE DE ROUTE État de disgrâce Michel HAJJI GEORGIOU

« La pierre angulaire de la stratégie de défense nationale est la complémentarité entre la résistance et l’armée. » Cheikh Nabil Kaouk C’est bien connu, la complétude peut ouvrir la voie aux plus grandes tragédies. Elle peut même mener à la mort. Cela, on le savait, à force d’avoir compulsé les grands classiques de la littérature ou du théâtre sur les dangers de la passion. Mais las de Phèdre ou des monuments de Shakespeare. Car là où le génie des plus grands a su transformer l’horreur en magnificence, ici, chez nous, point de pierre philosophale pour masquer le gâchis, la médiocrité, l’irresponsabilité, ou même cette rage naturelle qui découle de tant d’absurdité. Le lexique politique libanais n’a pas d’égal en matière d’innovation. Il est capable d’associer tous les paradoxes du monde, de s’accommoder, au nom du dogme consensualiste, de toutes les hérésies. C’était le cas durant l’occupation syrienne. Sous les termes staliniens de « fraternité » et d’« amitié », sinon de « relations privilégiées » avec la « Syrie-sœur », se cachaient les atteintes les plus viles à la souveraineté du Liban. Les intérêts étroits de la politicaille locale ne s’en formalisaient guère : ils avaient la conscience tranquille, pour ceux qui en avaient une. La leçon n’a pas servi. Et voilà que même certains parmi ceux qui dénonçaient autrefois avec le plus de véhémence les dangers de ce lexique hypocrite et sordide pour la survie de l’État libanais se mettent à leur tour à user de termes sournois pour assurer la pérennité de leurs petites manigances. Certaines personnalités politiques de premier plan n’ont d’ailleurs pas hésité à discourir à foison sur la « complémentarité » entre l’armée et la résistance durant leurs dernières escapades électorales au Sud, alliant étroitement, dans la symbolique et les discours, les martyrs de l’armée et ceux de la résistance. Fort bien. Mais comment faire si et lorsque les martyrs de l’armée sont victimes de la résistance ? Comment faire lorsque des officiers de la troupe sont malmenés, amochés, et même achevés à bout portant, a-t-on dit, sans aucune dignité, d’une manière inadmissible et intolérable, par des personnes qui font leur propre loi et ne répondent qu’à elles-mêmes et à leurs maîtres ? La question peut paraître biaisée, légère même. Il n’en reste pas moins qu’elle est fondamentale. Derrière l’incident de Soujod, c’est toute la problématique de la souveraineté de l’État qui est en question. L’ironie est telle que plus les milieux officiels veulent éluder le problème, le contourner, dans la mentalité de l’après-Doha et de l’après-invasion de Beyrouth et de la Montagne par le Hezbollah, plus les événements font qu’il revient se poser en force. Le problème relève encore une fois du lexique. Lorsqu’il est fait usage du concept de « souveraineté », tout le monde pense immédiatement à la souveraineté externe ; la souveraineté en termes de rapports interétatiques. Et même lorsque certaines parties du 8 Mars évoquent l’autre dimension de la souveraineté, la souveraineté interne, le monopole de la violence légitime et le rétablissement de l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire, elles ne parlent que des camps palestiniens. Pourquoi ? Soit par réalisme politique, parce que leur allié électoral est celui qui leur permet de continuer à peser dans l’équilibre des forces locales, soit par confusion dans la définition de l’« ami » et de l’« ennemi ». L’ennemi de mon ennemi est mon ami résume bien la pensée de ces parties, et tous les coups sont permis pour frapper son ennemi, quand bien même il est lui-même l’ennemi de la souveraineté et de l’autorité de l’État. Oui. L’autorité de l’État et le monopole de la violence. La souveraineté. Car c’est bien là que le bât blesse, par-delà l’horrible « accident » en lui-même, qui reste toutefois impardonnable, inoubliable, impossible à étouffer. Il est évidemment fort heureux que le Hezbollah ait remis l’un des coupables aux autorités concernées (et les autres ?) et que, pour une fois, la logique de l’État l’emporte (partiellement). Et c’est une grande joie de l’entendre enfin parler d’erreur, lui qui ne se trompe jamais, puisque toutes ses inspirations sont divines, et qui n’a pas hésité, sans aucune honte, à parler d’« opération chirurgicale » pour justifier toutes les exactions et les violations commises contre les habitants de Beyrouth et de la Montagne en mai dernier. Sauf qu’avant l’affaire de Soujod, il y a eu celle de Mar Mikhaël, et c’est l’armée, agressée, acculée à se défendre, qui s’est retrouvée sur la sellette, devant les tribunaux. Sans oublier ce droit de la guerre que le Hezbollah s’est exclusivement attribué sans consulter personne, ou encore l’invasion de Beyrouth et le retournement des armes contre l’intérieur, l’armée étant contrainte, pour une multitude de raisons, à se contenter d’observer sans intervenir. Il ne faut pas se berner plus longtemps. L’accord de Doha était un règlement transitoire pour sauver les meubles, pour empêcher le Hezbollah de poursuivre l’irrémédiable avancée de la puissance, de la force des armes et du nombre, sur l’ensemble du territoire libanais. Mais c’était une fois de plus un accord de dupes. Tout comme le sera, à n’en point douter, ce nouveau dialogue qui doit se faire sous l’égide du président de la République. Et pour cause : aucun dialogue n’est possible, aucun pacte ne peut être conclu si les parties à la négociation ne sont pas égales, ou plutôt à armes égales, les « armes » devant être celles que garantissent le droit et la justice dans le respect de la logique de l’État. Que peuvent en effet un florilège de mots, seraient-ils sublimes de lyrisme et de beauté, face aux canons, aux missiles, aux hordes de combattants endoctrinés et disciplinés ? De plus, comment pourra-t-on continuer à s’accommoder de cette coexistence hybride et inconcevable entre l’État et la résistance ? Alors même que la résistance n’émerge généralement que lorsque l’État a dépéri ou qu’il a sombré sous l’occupation... Où est cette occupation aujourd’hui ? Est-ce l’occupation de certains postes de l’État par les Forces du 14 Mars, avec qui le Hezbollah siège au sein du cabinet d’union nationale ? Puisque l’État existe, n’est-il pas grand temps de mettre fin à l’existence de cette résistance, et de permettre à l’armée régulière de combattre l’ennemi, quel qu’il soit, aux frontières ? L’armée ne mérite-t-elle pas pareil honneur après sa victoire de Nahr el-Bared, après le sanglant défi de l’attentat de Tripoli ? Ne mérite-t-elle que les affronts, les turpitudes et autres « erreurs » ? N’avons-nous pas des généraux suffisamment compétents et patriotes pour assurer la défense du Liban ? Le patriotisme est-il devenu le seul apanage du Hezbollah ? Nous savons tous que le problème ne se situe pas à ce niveau, et que l’armée est parfaitement capable d’assumer sa mission. Le coup de force contre Beyrouth a prouvé que le maintien des armes, s’il permet effectivement au Hezbollah de se défendre contre une agression de l’ennemi israélien, est éminemment politique. Que « les armes seront toujours prêtes à défendre les armes » pour reprendre l’excellente formule de Hassan Nasrallah avant le début de l’invasion de la capitale en mai dernier. Que les armes sont là pour assurer le privilège d’une communauté sur l’ensemble de la nation, et même à son détriment. Une fois de plus, il convient de se demander : « Résistance contre qui ? » Et de répondre : résistance au rétablissement de l’autorité de l’État sur l’ensemble de son territoire, à la souveraineté, au monopole de la violence légitime. Le constat sur la « résistance » est terrible, mais il est néanmoins désarmant de vérité : depuis que l’ennemi israélien n’est plus aguerri et belliqueux, aux frontières, c’est au Liban et parmi les Libanais que l’on compte les morts...
« La pierre angulaire de la stratégie de défense nationale est la complémentarité entre la résistance et l’armée. »
Cheikh Nabil Kaouk

C’est bien connu, la complétude peut ouvrir la voie aux plus grandes tragédies. Elle peut même mener à la mort.
Cela, on le savait, à force d’avoir compulsé les grands classiques de la littérature ou du théâtre sur les...