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Actualités - OPINION

ÉCLAIRAGE Remous sur la scène sunnite à Tripoli et Karamé bientôt au Caire Scarlett HADDAD

«La situation à Tripoli est d’autant plus complexe que tout se passe underground. » C’est le commentaire d’un Tripolitain chevronné, ancien candidat à la députation et qui se considère aujourd’hui à égale distance de l’opposition et de la majorité. Selon lui, la lutte intestine qui mine la ville se joue dans les rangs sunnites, et c’est pour cela qu’elle ne paraît pas à la surface et se déroule dans les ruelles sombres et obscures. Ce Tripolitain raconte qu’au moment de l’annonce de la signature du document d’entente entre le Hezbollah et des groupes salafistes, la tension est montée d’un cran dans la ville et, selon lui, on aurait cru que la poudrière tripolitaine allait exploser. C’est d’ailleurs ce qui aurait poussé les signataires salafistes à se réunir avec leurs rivaux exclus de l’entente pour geler l’accord. Le Tripolitain relève le fait que l’annonce du gel a été proclamée par trois membres de la famille Chahhal : Daïatelislam, fortement opposé au document, Abou Bakr, son frère, lui aussi opposé au document, et leur cousin Hassan, signataire dudit document. En sus de Abdellatif Drayé, qui est aussi un proche par alliance de la famille. C’est dire que la tension a été résorbée par des contacts familiaux, diminuant ainsi en quelque sorte l’importance de la division entre salafistes. Mais le problème reste entier et il va bien au-delà de ces groupes qui, somme toute, sont bien plus symboliques et doctrinaires que miliciens. Des sources proches des signataires du document estiment qu’à travers cette signature, le Hezbollah a réussi un coup de maître. Il a réussi à briser un tabou entre chiites et salafistes qui généralement se considéraient respectivement comme des renégats. Peu importe si les parties salafistes signataires n’ont pas un grand poids sur le terrain. Ce qui compte, c’est qu’un pas énorme a été franchi, ne serait-ce que sur le plan doctrinaire. Désormais, les sunnites extrémistes n’auront plus le même impact lorsqu’ils appelleront à tuer les chiites, puisque leurs doctrinaires sont divisés sur la question. Pour le Hezbollah, qui cherche par tous les moyens à éviter la discorde entre sunnites et chiites, surtout après l’épreuve de force du 7 mai à Beyrouth qui a porté un coup à son image de mouvement de résistance chez les sunnites, c’est un énorme acquis. D’autant qu’il n’a rien à perdre à Tripoli, où il n’y a pas de chiites et où les alaouites, qui pourraient être classés dans le camp de ses alliés, ont montré qu’ils sont suffisamment bien organisés et équipés pour défendre eux-mêmes leur secteur. De plus, les mêmes sources précisent qu’en signant le document d’entente avec des groupes salafistes, le Hezbollah a réussi à déplacer le conflit au cœur de la scène sunnite. Il a même réussi à imposer dans l’un des points du document l’obligation pour chacune des parties de défendre l’autre en cas d’agression perpétrée par « les forces de l’ombre ». Les citoyens ordinaires ne mesurent sans doute pas l’importance d’un tel point, mais elle est considérable pour des salafistes, dont l’idéologie même consiste à vivre repliés sur eux-mêmes, en opposition avec tous ceux qui ne partagent pas leurs idées. En acceptant ce point, ils remettent en cause des années, voire des siècles, de rivalité avec les chiites à cause de leur appartenance religieuse. Même si l’accord n’est pas appliqué, estiment les sources proches des signataires du document, le choc de la nouvelle est considérable. Il n’y a plus d’unanimité doctrinaire sur la question chiite et les habitants de Tripoli, qui ne sont pas nécessairement favorables à cette idéologie extrémiste, vont prendre encore plus leurs distances avec le mouvement. Le Tripolitain chevronné explique, à cet égard, que le problème avec les groupes salafistes, c’est qu’on ne connaît pas véritablement leur force sur le terrain. Ce sont généralement des cellules armées et clandestines, sans structures connues. Leur popularité chez les habitants de la ville varie avec les circonstances. Et depuis l’explosion du bus transportant des militaires, le 13 août, à la place du Tell, elle a baissé, les Tripolitains rejetant en bloc ces actes de violences. Même si les auteurs n’ont pas été identifiés, les habitants préfèrent désormais fuir ceux qui peuvent causer des problèmes. En tout cas, poursuit ce Tripolitain, si les salafistes avaient rêvé un jour de prendre le contrôle de la capitale du Nord, ils doivent désormais y renoncer, ayant trop à faire pour régler la question de leurs divisions internes. D’ailleurs, il a fallu recourir au sens de la famille chez les Chahhal pour obtenir le gel de l’application du document d’entente avec le Hezbollah. Cela ne veut hélas pas dire pour autant que les problèmes de Tripoli sont terminés. Mais ils sont moins apparents. La situation semble se diriger vers une stabilisation « du front » entre Jabal Mohsen et Bab el-Tebbaneh, pour cause d’incapacité, pour un camp comme pour l’autre, de remporter une victoire militaire écrasante, et la scène sunnite est sujette à des secousses, qui restent toutefois discrètes. Mais le problème réside justement dans le fait que dans la ville-même aucune partie n’est suffisamment forte pour la contrôler. D’où les tiraillements et les manœuvres visant à marquer des points et... à gagner des voix. De plus, Tripoli est devenue l’arène des affrontements régionaux, et les services de renseignements fraternels et autres y restent très actifs. Toutefois, les sources proches des signataires salafistes du document révèlent que l’Arabie saoudite serait intervenue pour tenter de calmer le jeu entre les protagonistes sunnites. Et le président égyptien – qui avait rencontré il y a quelques jours le roi d’Arabie – a adressé une invitation à l’ancien Premier ministre Omar Karamé pour le rencontrer. Ce dernier, qui est un des piliers de l’opposition au Nord, compte donc se rendre au Caire dans les prochains jours, dans une visite qui est en elle-même un événement. Cette démarche indique en tout cas une volonté de nouer un dialogue avec toutes les parties sunnites, pour éviter justement que les remous actuels dégénèrent en frictions, qui seraient terribles pour la communauté, et pour le Liban en général.
«La situation à Tripoli est d’autant plus complexe que tout se passe underground. » C’est le commentaire d’un Tripolitain chevronné, ancien candidat à la députation et qui se considère aujourd’hui à égale distance de l’opposition et de la majorité. Selon lui, la lutte intestine qui mine la ville se joue dans les rangs sunnites, et c’est pour cela qu’elle ne paraît pas à...