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Actualités - OPINION

FEUILLe DE ROUTE Pour simplifier certaines questions trop « complexes et épineuses »... Michel HAJJI GEORGIOU

« La question des disparus est épineuse et complexe. » Walid Moallem Entre Beyrouth et Damas, le problème a longtemps été, à la base, d’ordre terminologique. Là où l’on parlait de « réciprocité dans les relations, fondées sur la souveraineté et l’indépendance des deux pays », la Syrie sœur comprenait : « vassalité dans les relations entre le tuteur et sa province ». L’exemple pourrait paraître quelque peu anecdotique tant il est schématique, mais il n’est pas très loin de la réalité. Les années ont beau passer, les figures de proue ici comme là-bas se succéder ; la tare d’ordre terminologique qui affuble les relations bilatérales perdure, imperturbable. Le problème, c’est que cette tare-là reflète un problème culturel ontologique entre les deux pays, qui n’a rien à voir avec les effets de la modernité. Les prix des terrains ont beau flamber dans la contrée nationale voisine, les cafés se multiplier, les dernières marques et les dernières technologies envahir le marché (ce qui est, au demeurant, une excellente nouvelle pour le peuple syrien) ; il reste cependant que cela ne résorbe en rien la faille culturelle qui sépare le Liban de la Syrie. *** Il ne s’agit pas de se laisser aller à une vantardise de plus en plus déplacée sur les vertus des terres de la liberté et de la démocratie par opposition aux vices des landes sinistres de la répression et de la tyrannie. D’autant qu’en matière de libertés publiques et de culture démocratique, le Liban continue de régresser, même s’il se porte encore bien mieux que l’ensemble des pays de la région – et, de toute évidence, que la Syrie. Non. Il s’agit juste de constater une réalité, celle qui veut que là où la Syrie choisit souvent de s’emmurer, le Liban est comme l’albatros de Baudelaire qui, incapable de marcher, s’entête néanmoins à s’élever dans les airs pour respirer l’air frais de la liberté. C’est d’ailleurs la teneur de l’incontournable et inégalable lettre adressée par Georges Naccache à Khaled el-Azem lors de la rupture douanière libano-syrienne au début des années 50. En effet, voilà déjà plus de 50 ans que tout a été dit, d’un côté comme de l’autre. Chacun sait parfaitement bien où se tient l’autre, comment il réfléchit, ce à quoi il aspire. Et pourtant, un éternel retour, une roulade pathétique de l’histoire veut que nous réessayions encore et toujours, sans jamais vraiment changer ce qui fait nos spécificités et différences. Le rapprochement se fait dans la contrainte et même dans la violence, lorsqu’il se fait. Et les moments de franchise aussi tendent à se dérouler dans un décor de sang et de haine. Peut-être que, passé les convenances, un régime autoritaire ne sait exprimer ses sentiments amoureux d’une autre manière. Lorsqu’un fâcheux sanglier met le grappin sur une jolie biche, il n’a en effet d’autre langage, d’autre recours, que la forcer pour profiter de ses appâts. *** Mais, loin de la biche et du sanglier, revenons à nos moutons. Dans ce nouvel élan, dans cet ancien nouveau faux départ entre Beyrouth et Damas, incarné par la visite du (pourtant plein d’entrain et de bonne volonté) président Michel Sleiman en territoire syrien, il y a de nouveau cette absence douloureuse et manifeste d’un traducteur qui se fait sentir. On a beau vouloir les prendre au mot tant l’envie de tourner la page des invasions, attentats et autres assassinats reste la plus belle et la plus forte de toutes ; mais cela reste néanmoins très difficile. Il est en effet fort ardu de croire que l’ambassade de Syrie au Liban sera bien une ambassade au sens que le Liban prête tout naturellement à ce terme, c’est-à-dire au sens communément admis par la communauté internationale ; qu’elle ne sera pas de nouveau ce « Big Brother » à la sauce de Anjar, mais servi cette fois avec toute la légitimation qu’une ambassade peut recevoir de la part d’un pouvoir local. On peut douter jusqu’au bout de l’incertitude, c’est tout à fait légitime, expérience à l’appui. Cela n’ôte rien à la nécessité de continuer à essayer, de poursuivre ses tentatives de faire les mêmes calculs avec les mêmes chiffres en essayant d’obtenir d’autres – de meilleurs – résultats... L’entreprise est quasiment pareille, jusqu’à présent, à celle de Sisyphe, condamné à rouler son rocher jusqu’en haut de la colline sans aucun espoir d’aboutissement. Et il y a des raisons de douter. Il y a de la mauvaise foi, encore. Il y a de la sournoiserie, toujours. Il y a de la scélératesse. Il y a ces déclarations communes des deux ministres des Affaires étrangères, qui évoquent l’idée, l’air de rien, « d’unifier les ambassades à l’étranger », d’anschlusser encore et toujours par d’autres moyens, en évoquant (!) la voie vers l’Union européenne suivie autrefois par Paris et Berlin. Et puis il y a enfin et par-dessus tout ces détenus libanais en Syrie, devenus, dans la traduction syrienne, des « disparus »... Le problème dépasse la simple terminologie pour rejoindre les voies insondables de la logique de Walid Moallem, qu’Alfred Jarry même, pourtant rodé à ce genre de personnage, eût trouvée énigmatique. Ainsi, pour résoudre la question des détenus, il faudrait... aller « déterrer les fosses communes dans le sol et les eaux territoriales au Liban ». La réponse a fusé, toute simple, de la bouche de Moallem. Hop, on s’en lave les mains, comme Ponce Pilate. Hop, hop et hop, on renvoie les Libanais à leur linge sale, à leurs querelles poisseuses. Sans oublier toutefois d’évoquer le sort de ces nombreux « disparus » syriens au Liban, apparus comme un lapin lors d’un mauvais tour de passe-passe, dès lors que la question des détenus libanais en Syrie a commencé à prendre de l’ampleur. Il est vrai que le Liban a occupé le territoire syrien durant d’innombrables années, comme tout le monde le sait, se livrant au racket organisé et à l’hégémonie la plus ignoble... Pour ceux qui l’auraient oublié, c’est de Tartous que les directives libanaises étaient données pour faire disparaître des centaines de citoyens syriens et les exfiltrer vers les prisons libanaises... C’est pourquoi Walid Joumblatt a eu l’excellente idée hier d’inviter les organismes internationaux concernés à se rendre dans les prisons libanaises pour localiser ces « détenus » et autres « disparus » qui hantent la conscience irréprochable de Walid Moallem. *** Mais trêve de plaisanteries. Il est tout simplement des sujets où l’ironie n’arrive tout simplement pas à sauver la situation. Même si cette ironie cherche à faire front à la légèreté scabreuse, l’indécence et l’obscénité dont le régime syrien continue de faire preuve pour traiter cette affaire proprement humanitaire. L’approche syrienne de la question prouve sans cesse que les parents des détenus ont raison de réclamer une commission d’enquête locale qui les associe étroitement ; qu’ils ont encore plus raison de réclamer une commission d’enquête internationale qui puisse clouer Damas au pilori. Tout le monde sait qu’il y a des prisonniers politiques en Syrie. Tout le monde sait qu’il y a des détenus politiques libanais en Syrie. La question n’a rien de « complexe et d’épineux », sauf pour un directoire qui continue de se voiler la face et de chercher des échappatoires sans oser confronter le présent pour bâtir l’avenir. Inutile de jouer sur les mots pour renvoyer les Libanais à leurs guerres inciviles. Pour l’heure, ils veulent ceux qui croupissent encore dans les prisons syriennes. Un jour viendra où ils seront, inévitablement, obligés de confronter, dans un travail de réconciliation et de guérison, loin de la surenchère politique et des autres formes de chantage, leur passé et leurs morts. L’heure n’est pas encore venue, mais il faudra ouvrir les yeux sur ces disparus de la guerre qui emplissent, anonymes, la terre nationale comme une salissure indélébile. Il le faudra inéluctablement. Mais loin, très loin, des conseils assassins et autres recommandations sournoises en provenance de ces contrées emmurées, dont la terre, autant qu’au Liban, sinon plus, ne cesse de souffrir et saigner ; notamment de sang libanais...
« La question des disparus est épineuse et complexe. »

Walid Moallem

Entre Beyrouth et Damas, le problème a longtemps été, à la base, d’ordre terminologique. Là où l’on parlait de « réciprocité dans les relations, fondées sur la souveraineté et l’indépendance des deux pays », la Syrie sœur comprenait : « vassalité dans les relations entre le tuteur...