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Actualités - OPINION

La banque et la caserne

Tout a commencé au début des années 1990 avec la chute du mur de Berlin et le triomphe de l’économie de marché dans de nombreuses régions. Partout dans le monde, les pays ont commencé à revoir leurs modèles économiques et à redessiner leur stratégie de positionnement sur la chaîne de création de valeurs d’une mondialisation galopante et imperceptible. Au Moyen-Orient, les pays arabes, surtout ceux producteurs de pétrole, ont entamé une mutation qui allait rapidement modifier leurs statuts vis-à-vis du Liban de celui de clients à celui de concurrents en puissance. Le Liban est l’un des rares pays qui n’ont pas pu repenser leur modèle économique et essayé de se?réinventer un rôle et une nouvelle stratégie. Une fois la guerre terminée, la classe politique a réhabilité le même modèle marchand, annihilé le peu qui restait de l’appareil de production et transformé le Liban en une grande banque entourée par une immense caserne. Un consensus s’est alors installé entre, d’une part, les gérants de la banque et, d’autre part, les gardiens de la caserne?: alors que les premiers faisaient de la finance sans faire de l’économie, les seconds entassaient les armes et édifiaient un État au sein de leur caserne. Le consensus a bien fonctionné jusqu’au jour où les gardiens de la caserne ont essayé de mettre la main sur l’argent de la banque et les gérants de la banque de toucher aux armes des gardiens de la caserne. La banque a fait faillite, comme c’est généralement le cas avec les banques quand elles sont braquées par les banquiers eux-mêmes et par ceux qui sont censés les garder. Notre pays s’est alors retrouvé criblé de dettes, vidé de sa population et soumis à la pauvreté, à la peur et à la violence. L’accord de Doha jeta alors les bases d’un nouveau consensus selon lequel le vainqueur maintiendra ses armes jusqu’au jour où un nouveau consensus sur l’usage de ses armes sera atteint et le vaincu restera à la tête de la banque jusqu’au jour ou un consensus sur l’édification de l’État aura lieu. Un État, quel État?? On eut recours à l’armée pour élire un président de la République consensuel et relancer le processus démocratique. L’opposition et le pouvoir se sont transformés en un parti unique où chacun s’approprie sa part de ministères. La vie démocratique s’est arrêtée de façon démocratique… dans le but de restaurer la démocratie lors des prochaines élections législatives et de refaire le changement… en reconduisant la même classe politique. Ni vainqueur ni vaincu. La classe politique fait sa promesse : si je gagne, je gagne tout seul et si je perds, tu perdras à ma place. Le Liban s’habitue à la défaite en faisant semblant de gagner et sa classe politique célèbre le culte de la victoire. Le consensus s’installe de nouveau dans un pays blessé, brisé, endetté jusqu’aux os et soumis à une dictature internationale à la fois financière, sécuritaire et militaire. Pendant ce temps, le temps passe, nous devenons vieux, nos enfants grandissent, nos petits-enfants nous quittent, on élimine ceux qui peuvent faire bouger les choses, la richesse glisse de nos mains, nous enfouissons des armes dans des camps de misère et déterrons d’autres armes pour attendre de nouveaux consensus et de nouveaux pourvoyeurs de fonds qui veulent prendre part à ce consensus. Le monde bouge, nous restons à l’écart, nous ne maîtrisons plus notre destinée, d’autres le font à notre place. Nous basculons entre le rêve d’un État inexistant à édifier et le cauchemar d’un État omniprésent que nous voulons à tout prix écarter. Nous vivons en marge du temps, feignant d’ignorer que les armes ne protègent plus notre avenir, ni les renonciations et les compromis successifs. Enfermés dans nos ghettos communautaires, sectaires et partisans, en mal de modèles et d’alternatives, nous autres, Libanais, avons chevillé la résignation et l’impuissance au fond de notre âme, contre notre véritable nature. Ce qui peut nous sauver, c’est d’abandonner la culture de l’«?à quoi bon ??», du «?c’est comme ça?» du «?rien ne change?», ?du « rien ne va changer », de récupérer cette énergie créatrice que nous avions perdue et d’investir dans notre avenir, de changer de cap, de créer un modèle économique basé sur l’innovation et l’éducation, et d’abandonner notre modèle d’intermédiation qui avantage le commissionnaire au détriment du créateur, la consommation au détriment de l’investissement et l’émigration au détriment de la création d’emplois. Le Liban, pays de l’innovation, est un gage pour le futur. Nous pouvons réussir si nous associons la diaspora à notre projet et instaurons une complémentarité stratégique économique réelle entre le Liban et son prolongement naturel arabe, d’une part, et sa vitrine méditerranéenne, d’autre part. Nous pourrons alors maîtriser la rareté de nos ressources naturelles et humaines (les réserves en eau et en personnes qualifiées sont les véritables armes du futur) et de créer des produits juridiques susceptibles d’être «?vendus?» partout dans le monde. L’innovation nous permettra aussi d’édifier une stratégie de défense de premier ordre que nous pouvons exporter. Notre marge de manœuvre est évidemment étroite, mais rien n’est impossible si nous faisons tous ensemble des engagements positifs pour un avenir commun (et non pas uniquement des renonciations mutuelles à un passé individuel) basé sur la paix et l’ouverture, et non pas sur la violence et l’obscurantisme, qu’importe la formule qu’il prendra. Faisons une remise en cause collective des faux-semblants qui caractérisent notre modèle politique et économique, et déplaçons le curseur de nos priorités pour nous repositionner à la bonne place sur la carte de la mondialisation et montrer au monde que le Liban est, malgré tout, capable d’être le plus fort. Adib Y. TOHMÉ Avocat
Tout a commencé au début des années 1990 avec la chute du mur de Berlin et le triomphe de l’économie de marché dans de nombreuses régions. Partout dans le monde, les pays ont commencé à revoir leurs modèles économiques et à redessiner leur stratégie de positionnement sur la chaîne de création de valeurs d’une mondialisation galopante et imperceptible. Au Moyen-Orient,...