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Actualités - CHRONOLOGIE

SPECTACLE - À la salle Gulbenkian (LAU), « Al-Akhar » d’Amine Missoum Quand Diderot parle en arabe pour défendre le paradoxe des idées…

Pour la sixième journée du XIe Festival international universitaire du théâtre, la première œuvre présentée est davantage un magistral et déroutant cours de littérature française, en arabe, que magie et miroitement du monde de la scène. Sous les feux de la rampe, un vibrant discours de Denis Diderot qui, par ses dons d’orateur, prend brillamment le devant de la tribune et de la scène... Défense et illustration du paradoxe des idées au XVIIIe siècle avec Al-Akhar (L’autre) dans une mise en scène tout en sobriété et retenue, sans ignorer un soupçon d’humour d’Amine Missoum, du département d’art dramatique de l’Université de Wahran en Algérie. Prééminence des idées tous azimuts (guère sèches mais toniques, pointues, survitaminées et revigorantes !) sur le fil linéaire, un peu moussant, d’une histoire portée par l’univers des planches. Une véritable promenade du sceptique, en toute généreuse et impertinente faconde, avec l’auteur de Jacques le fataliste et son maître. Promenade sur place et immobile, adroitement et sobrement mise sous des spots qui ne diminuent d’intensité que vers la fin de ce déballage entre sophisme et ramification encyclopédique d’un gigantesque et chaotique savoir reflétant toute la fraternité humaine…  L’autre est une adaptation des écrits de Diderot où l’écrivain est « le miroir de l’autre, le lecteur-spectateur »… D’une scène absolument nue, ouverte aux regards des spectateurs jusqu’aux profondeurs de ses coulisses, brusquement libérées de tous les secrets du métier, émerge un couple de personnages. Un homme aux cheveux blancs en chaise roulante et son accompagnateur, une sorte de compagnon érigé en éminence grise tout vêtu de noir… Mince subterfuge pour diviser un « dire » dramaturgique, inspiré de Denis Diderot, dans un arabe guttural, véhément et intense, émaillé de quelques phrases bien françaises aux accents délicieusement algériens… Discours entortillé où l’on glisse facilement comme eau coulée sur le marbre sur plus d’un sujet. Sujets innombrables, toujours d’une brûlante actualité (surtout pour le monde arabe encore en quête de culture), qui vont de la politique à la morale, en passant par l’éducation des jeunes filles qui ne doivent pas forcément faire seulement des travaux d’aiguilles ou des gammes au piano… On sait que l’auteur de Le neveu de Rameau, enfant voué à la prêtrise mais happé par la vie active, plus penseur impénitent que philosophe au système cohérent, fut l’une des figures les plus attachantes des grands animateurs intellectuels du XVIIIe siècle. Par sa curiosité, sa vaste culture, sa connaissance des langues (par-delà tout exotisme et originalité littéraire, il aurait certainement aimé écouter tous ses commentaires sur la vie et les hommes dans la langue d’Ibn Khaldoun !), son esprit critique, son amour de la musique, son incroyable force au travail et son talent de romancier, l’auteur des Bijoux indiscrets avait le don du dialogue. Un dialogue toujours vif et percutant, incitant à la réflexion personnelle sur base de différents arguments. Remise en question, contestation des notions et des idées reçues, matérialisme intelligent, rassemblement et opposition des idées, voilà les ingrédients d’un discours touffu, turbulent et souvent délibérément contradictoire, savamment scindé en un subtil jeu pour des évaluations, des supputations, des considérations où trancher n’est pas forcément une idée juste ! Gymnastique de l’esprit et jonglerie avec les idées pour dire surtout le bonheur, l’épanouissement et le développement de la société, pour ne citer que ce qui reste de son amitié avec J.J. Rousseau, le célèbre signataire du Contrat social. Car le virulent auteur de la Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient (écrit qui lui vaut une incarcération au château de Vincennes) montre en toute clarté son penchant pour la droiture, le patriotisme, l’égalité, la fraternité, la liberté (principes qui firent triompher la Révolution française !), le besoin d’adoucir les mœurs avec la musique (ne pas oublier la rencontre déterminante de Diderot avec J.P. Rameau), le rejet du despotisme, la nécessité d’éduquer les femmes… Un véritable essai sur le mérite et la vertu que ce discours aux colères maîtrisées, à l’emphase nuancée, aux silences révélateurs et éloquents. Tenir en haleine le spectateur pour soixante minutes avec pour seul accessoire de scène des idées qui s’entrechoquent, voilà une gageure bien gagnée grâce au talent et à la présence de deux acteurs (Amine Missoum et Abdullah Namish) à la fois discrets et omniprésents. Pour conclure, cette citation de Diderot qui a toujours plaidé pour un constant éveil de l’esprit : « L’incrédulité est quelquefois le vice d’un sot, et la crédulité le défaut d’un homme d’esprit. » Paradoxe des idées ou du comédien pour reprendre le titre de l’un des ouvrages de l’illustre conseiller de la tsarine Catherine II de Russie ? Toujours est-il que L’autre d’Amine Missoum n’est pas un moment de frivole ou gratuit divertissement, mais un excellent cours de littérature, ouvrant une généreuse fenêtre mondialiste pour ceux qui ignorent les subtilités de la langue de l’Hexagone, que le théâtre véhicule avec éclat, ardeur et dévotion. Oyez, bonnes gens, maître Diderot, ennemi juré de l’ignorance et défenseur acharné de la liberté et de la dignité humaine, vous fait part de ses pensées, absolument pas ternies par la poussière du temps, en arabe…. Edgar DAVIDIAN
Pour la sixième journée du XIe Festival international universitaire du théâtre, la première œuvre présentée est davantage un magistral et déroutant cours de littérature française, en arabe, que magie et miroitement du monde de la scène. Sous les feux de la rampe, un vibrant discours de Denis Diderot qui, par ses dons d’orateur, prend brillamment le devant de la tribune et de la...