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Youssef Chahine est décédé hier, à l’âge de 82 ans, après avoir passé six semaines dans le coma Le monstre sacré du cinéma égyptien s’endort Colette KHALAF

«J’ai un sale caractère et je n’ai pas peur », criait-il tout le temps. Ou : «?Qu’ils essaient de me faire taire?! » Ou encore : «Il vaut mieux qu’ils ne m’embêtent pas.» « Qu’ils me foutent en prison, j’aurais le temps d’écrire un nouveau scénario. » « Je serais moins dérangé qu’au bureau?! » Aujourd’hui, la voix de l’Alexandrin s’est tue, mais ses films continueront de déranger. Celui qui a été surnommé, par son ancien assistant Yousri Nasrallah, « une des plus grandes institutions non gouvernementales indépendantes existant dans le monde arabe » s’est enfin endormi paisiblement au Caire après de graves problèmes de santé qui ont marqué sa vie et qui ne sont jamais parvenus à calmer ses ardeurs amoureuses, cinéphiles et politiques. Mais enfin, après un coma qui aura duré six semaines, ses funérailles auront lieu aujourd’hui dans une église du centre du Caire. Puis le cinéaste sera enterré dans le caveau familial à Alexandrie, la grande ville du nord où il est né, a précisé l’agence officielle MENA. Ce cinéaste, par nature insaisissable, ne s’est jamais laissé enfermer dans un cadre, même s’il a côtoyé les différents grands genres de cinéma tout au long de sa carrière. Dans un spécial Youssef Chahine paru dans les Cahiers du cinéma, Thierry Jousse avait dit de lui : « Fasciné par l’Amérique et par Hollywood, Chahine a travaillé à construire un nouveau type de spectacle qu’on ne peut jamais qualifier de moderne ou de classique, encore moins de maniériste…?» «?De la représentation, toujours de la représentation pour ce cinéaste dont la réalité est toujours féerique (dixit Renoir) ». Il semblait que tous ses contes, quoique très réels (Le Moineau ou Le retour de l’enfant prodigue), pouvaient commencer par la phrase?: « Il était une fois. » Né en 1926 à Alexandrie (d’un père libanais et d’une mère égyptienne), Youssef Chahine raconte qu’il devait avoir trois ou quatre ans lorsque sa grand-mère grecque l’emmenait voir des ombres chinoises. Fasciné par ces visions, le petit Chahine revenait chez lui et s’installait sous une table en prenant une nappe, faisant bouger ses jouets à l’aide d’une torche. À partir de neuf ans, le petit garçon reçoit un Pathé Baby permettant de présenter des bobines de cinq minutes. Son père, avocat, voulait que son fils embrasse la carrière d’ingénieur. Mais Youssef Chahine décide d’embarquer, à l’âge de dix-sept ans, sur un bateau à destination des États-Unis afin de poursuivre des études d’art dramatique. « Mais je n’étais pas un jeune premier et seuls les jeunes premiers accaparent les bons rôles au cinéma, je décidais de passer à la mise en scène?», avoue Chahine. La grande aventure du septième art venait de commencer pour lui. Plus de cinquante ans et de quarante longs-métrages après, le cinéaste alexandrin fait toujours autant preuve de liberté et d’insolence qui déplaisent aux autorités égyptiennes. Après s’être longtemps exercé à la comédie musicale, Chahine réinvente, lors de l’avènement de Nasser, le néoréalisme égyptien avec Gare centrale. Plus tard, il se lance dans une trilogie autobiographique sans précédent dans le cinéma moderne. Alexandrie, pourquoi : La Mémoire, ainsi que Alexandrie encore et toujours : trois volets où le cinéaste livre une intimité intellectuelle et affective en abordant l’histoire à la première personne. Ses dernières œuvres, L’Émigré (1994), Le destin (1997) et L’autre (1999), constituent des réflexions intéressantes sur la montée de l’intégrisme, plus particulièrement dans la société égyptienne. Lors d’un entretien avec Jean-Philippe Renouard, en 2001, ce boulimique de cinéma expliquait la genèse de ses films : «?Tout démarre d’une atmosphère, de confrontations qui se déplacent parfois sur d’autres terrains. Dans mon cas, c’est le terrain de la maladie. Quand les médecins vous disent que vous devez subir dans les 48 heures une opération à cœur ouvert (c’était l’une des premières effectuées il y a 20 ans), on se met immédiatement à réfléchir sur ce qu’on a fait jusqu’à présent dans sa vie. » Aujourd’hui, l’Alexandrin peut s’en aller tranquille. Car il laisse derrière lui un trésor inépuisable.
«J’ai un sale caractère et je n’ai pas
peur », criait-il tout le temps. Ou : «?Qu’ils essaient de me faire taire?! » Ou encore : «Il vaut mieux qu’ils ne m’embêtent pas.» « Qu’ils me foutent en prison, j’aurais le temps d’écrire un nouveau scénario. » « Je serais moins dérangé qu’au bureau?! »
Aujourd’hui, la voix de l’Alexandrin s’est tue,...