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ACTUALITÉ LITTÉRAIRE La lecture, ce vice impuni… Edgar DAVIDIAN

« Aujourd’hui, on ne sait plus lire. Ce grand art, qui existait encore au temps de Goethe, est mort. On parcourt en masse ce qui est imprimé et, d’une façon générale, le lecteur démoralise le livre. » Cette cinglante assertion d’Oswald Spengler, tirée de son ouvrage les « Années décisives » (paru au Mercure de France), a-t-elle droit de cité dans la république des lettres modernes ? Sans doute qu’il y a là une bonne part de vérité… La lecture, au siècle de l’ordinateur, des téléphones portables, du télévisuel et du techno, n’est plus ce qu’elle était au siècle de George Sand qui rendit le plus bel hommage et fit l’éloge de ses indéfectibles et dociles amis les livres. Mais vu l’ampleur, parfois effrayante, de la production littéraire (notamment romanesque) et des nouveaux ouvrages qui inondent littéralement le marché, la réflexion sur la désertion du livre mérite qu’on s’y arrête un peu… Libraires et éditeurs s’accordent toutefois à dire que le monde du livre est loin d’être mort. Preuve en est ces nombreux ouvrages qui trônent entre devantures et rayons des étagères, et que les lecteurs viennent encore compulser ou acheter, mine de rien, comme si lire, sans être ce vice impuni comme dit Valéry Larbaud, reste toujours une occupation louable et sûre, instructive et sœur jumelle des rêves les plus secrets… Dans ce sillage de réflexion, une tournée dans l’actualité littéraire a permis de récolter ces écrits inspirés d’une réalité mouvementée où vivre est synonyme des expériences les plus diverses, les plus troublantes, les plus exaltantes, les moins soupçonnées. De la médecine au terrorisme, en passant par les délires passionnels et l’injuste promenade de la Grande Faucheuse, les thèmes les plus insolites et les plus fantasques ou les plus sérieux sont abordés sans fard ni voilette. Pour le plaisir de lire (jamais abandonné), de découvrir, de s’informer et de parcourir l’univers en restant dans son fauteuil, sa chambre, son jardin ou son transat, voilà des livres dont les pages, vibrantes de toutes les ardeurs de la vie, sont une exquise et franche invitation aux voyages sans frontières… « Un léopard sur le garrot » de Jean-Christophe Rufin Chroniques d’un médecin nomade Voilà un écrivain de race qui ignore les frontières. Médecin, pionnier de l’humanitaire « sans frontières », auteur couronné du prix Goncourt 2001, aujourd’hui ambassadeur de France au Sénégal, Jean-Christophe Rufin n’a pas une vie de tout repos… Pour reprendre une formule poétique de Senghor, il semble aller comme un cheval qu’un léopard aurait saisi au garrot. D’où le titre Un léopard sur le garrot (Gallimard-284 pages) de son dernier ouvrage à caractère autobiographique. Lumière sur un homme de lettres hanté par son serment d’Hippocrate et qui livre sa fabuleuse aventure humaine, où la médecine est vécue comme un engagement total. L’auteur de Rouge Brésil et de L’Abyssin, avec une langue française raffinée et aux diaprures élégantes, offre au lecteur un monde riche d’expériences édifiantes où voyager aux quatre coins de la planète, en portant secours et réconfort au prochain, reste la plus profonde des fraternités. « Terroriste » de John Updike Après le 11-Septembre en Amérique… Écrivain prolifique, John Updike, né en 1932 à Shillington en Pennsylvanie, est auteur de plus d’une cinquantaine d’ouvrages. Dont de retentissants succès populaires et on cite volontiers les ventes phénoménales de Couples, des Sorcières d’Eastwick (avec un film qui a battu les records d’entrées aux salles obscures) et de toutes les séries de Bech et de Rabbit au succès soutenu, sans parler des prestigieuses récompenses littéraires qui ont salué plus d’un opus signé de sa plume féconde… Citoyen engagé dans la vie active, John Updike se tourne aujourd’hui vers l’Amérique de l’après-11-Septembre… Pour son dernier roman Terroriste (édition du Seuil-315 pages, traduction de l’anglais par Michèle Hechter) situé près de Manhattan, l’auteur de Cœur de lièvre jette sur le papier des personnages de banlieue… Avec des personnages tirés du quotidien et de la réalité américaine se profilent les contours d’une société en mutation. Ahmad Mulloy, lycéen doué, de père égyptien, Jack Levy, un juif athée, et Charlie Chéhab, un marchand de meuble libanais, et voilà que l’Amérique profonde a un visage inquiétant et désemparé d’un milieu immigrant face au fondamentalisme islamique… Portrait juste et bien contemporain du pays de l’oncle Sam par un écrivain misanthrope et peu porté à faire des concessions à une époque dont l’humanisme est rudement mis en doute… « La réserve » de Russel Banks Bruit et fureur entre passion, peinture et guerre… Un roman touffu, passionné. Bruit et fureur pour deux personnages aimantés brusquement par un amour délirant. Russel Banks, qui a déjà habitué ses lecteurs à un monde habité par la folie et les démesures, récidive avec une histoire sombre et tragique sur fond de conflits mondiaux. Pour son opus fictionnel La réserve (Actes Sud-380 pages, traduction de l’anglais par Piere Furlan), l’auteur de Babel plante son décor en bordure d’un lac des Adirondacks… Soirée mondaine donnée par un célèbre neurochirurgien new-yorkais où sa fille adoptive, Vanessa Cole, va rencontrer le peintre Jordan Groves. Et tout s’enclenche au sein de ce cadre majestueux et sauvage, tandis que les canons tonnent et les bombes pleuvent sur l’Europe où les croix gammées gagnent sinistrement du terrain… Fin d’un monde et émergence d’un autre avec un couple qui prend conscience de la gravité de l’amour… « Les intermittences de la mort » de José Saramago Quand la Grande Faucheuse fait la grève… Un conte grinçant. Une fabulation sinistre et d’un humour noir, à la fois improbable et irréelle, mais narrée très pince-sans-rire en une déconcertante désinvolture. Avec l’écrivain portugais José Saramago (prix Nobel en 1998), le récit est toujours une inspiration inattendue, insolite, fantasque. D’ailleurs, le Festival de Cannes s’ouvre cette année avec ce glaçant thriller brésilien Blindness, tiré de son roman L’aveuglement du Portuguais. Et tout cela est loin d’être naïf ou innocent. Imaginez un peu la Grande Faucheuse faisant la grève… L’idée d’une mort capricieuse ou hors de service ne vous a donc jamais effleuré ? Bien sûr que si. Le rêve d’une éternelle jeunesse ou d’une interminable vieillesse est une idée qui taraude souvent les humains, pauvres mortels qui n’échapperont jamais au fatal couperet… C’est dans cette optique peu envisageable, mi-macabre, mi-comique que José Saramago signe son livre Les intermittences de la mort (édition du Seuil-236 pages, traduction Geneviève Leibrich). Un pays sans nom plonge dans une euphorie indescriptible : la mort n’existe plus ! Mais le sablier du temps est toujours là…Besogneux, le temps et ses ravages irréversibles ciblent la population. Alors tout déborde de vieillesse… Des hôpitaux aux malades sans dernier souffle, des pompes funèbres en faillite, une Église sans emploi car elle perd de son pouvoir, et des jeunes qui assistent à l’agonie sans fin de leurs aînés… Autant de scènes et de situations surréalistes pour un roman qui défie les normes de la logique de la vie. Et c’est le cauchemar de la vie éternelle. Alors, tout se gangrène car on fait appel aux mafias et on signe des accords que la morale réprouve… Mais un jour, sans crier gare, la mort revient et remet les aiguilles de la montre à l’heure… Étrange fabulation écrite dans un style alerte, faussement léger, comme un placide conte fantastique, jamais effrayant ou sentencieux, mais entre désir de provocation, analyse (et approche) de l’inconcevable et sens de la soumission. Livres en vente à la librairie al-Borj.
« Aujourd’hui, on ne sait plus lire. Ce grand art, qui existait encore au temps de Goethe, est mort. On parcourt en masse ce qui est imprimé et, d’une façon générale, le lecteur démoralise le livre. » Cette cinglante assertion d’Oswald Spengler, tirée de son ouvrage les « Années décisives » (paru au Mercure de France), a-t-elle droit de cité dans la république des lettres...