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L’âge de raison Bahjat RIZK

Sommes-nous à nouveau à un tournant de notre histoire ? Quelles sont les étapes que nous avons franchies et celles qu’il nous reste à franchir ? Quinze années de guerre civile et régionale (1975-1990), quinze années de tutelle syrienne (1990-2005), trois années d’assassinats politiques et d’actes violents de déstabilisation et maintenant après trente-trois ans de guerres et d’oppressions et cinquante ans d’accession au pouvoir du premier commandant en chef de l’armée, le général Fouad Chéhab (1958-1964), nous voilà revenus au point de départ : il est demandé à un militaire de restaurer la démocratie parlementaire et de sauver les institutions libanaises et le système libanais qui se veut en même temps unitaire (à un seul niveau) et fédéral (fédération de communautés). Il y a donc au départ une aberration constitutionnelle structurelle, qui n’est pas clairement définie. Le système libanais n’est ni complètement unitaire ni totalement fédéral. Il n’appartient pas à une catégorie identifiée, c’est un système qui s’est construit de manière anachronique, sur la nécessité avec une oscillation permanente vers la fragmentation (impossible géographiquement) et vers l’unité forcée (impossible historiquement). Défiant toute rationalité, le Liban a survécu à coups d’arrangements, de trêves, de compromis. C’est un espace qui n’en finit pas de se décomposer et de se recomposer. Mais ce qui est créatif peut également présenter un aspect pervers, car le cercle est à la fois vertueux (éternel retour, oiseau du phénix) et vicieux (mythe de Sisyphe, serpent qui mord sa queue). Le « Liban message » est également une régression constante, avec à chaque fois un besoin de tutelle ou du moins de médiation (Nations unies, Ligue arabe, dirigeants occidentaux, dirigeants orientaux...). Compte tenu de leurs données concrètes, les Libanais, toutes communautés confondues, ont le devoir de faire un travail sur eux-mêmes, pour ne pas répéter de manière pathologique les mêmes schémas, les mêmes mécanismes de défense et les mêmes traumatismes. Ce travail touche en profondeur l’identité et la réforme éducative avant même la réforme politique, car elle en est la condition préalable et indispensable. Il faudrait assumer le « vivre ensemble » comme un choix, un bienfait, une valeur ajoutée, un patrimoine commun, une mise en partage et non comme une imposition, une contrainte, un handicap, une mutilation, une castration, une menace. Le rapport fusionnel incestueux et nostalgique avec la mère occidentale et la grande sœur orientale doit être dépassé. On ne peut continuer à vivre entre les fantômes et les fantasmes. Chaque communauté brandissant à tour de bras son histoire, son projet et ses mythes et voulant l’imposer aux autres communautés. Le Liban souffre d’un trop plein de références, d’une sursaturation de légendes, de héros, de saints, de prophètes et de messies (pourvu que le nouveau président n’en soit pas un de plus !). Ici-bas, nous sommes tous inscrits dans la finitude, il n’y a rien d’éternel. Trop de chefs, trop d’élus, trop de martyrs, trop de boucs émissaires. Comment guérir de toutes nos passions et rentrer dans l’âge de raison ? Comment sortir de nos reproductions archaïques et archétypales ? Comment ne plus nous user dans des guerres fratricides interminables et inutiles ?. Nous avons une chance de pouvoir vivre ensemble car le Liban devrait représenter l’improbable espoir de faire cohabiter et partager plusieurs cultures religieuses dans un même espace et de vivre un absolu dans le relatif de notre condition d’hommes. Quel qu’en soit le contenu, toute religion vise à nous faire échapper par la promesse à notre propre finitude mais aucune ne parvient à nous donner ici-bas l’éternité. Il n’y a pas de nation libanaise, il y a des minorités, des communautés orphelines qui ont décidé de vivre ensemble et de s’entraider, de se prendre en charge car ce qui sera perdu pour l’une le sera pour toutes. Le Grand Liban n’est plus un projet maronite, la Grande Syrie, le royaume arabe, la République islamique, l’Empire perse, l’Émirat druze ou maronite et tous les projets passés et à venir ne peuvent pas redéfinir d’une manière satisfaisante le Liban car la vocation de ce pays est d’être une plate-forme de dialogue entre l’Orient et l’Occident. Dès qu’il redevient un projet sectaire, le Liban n’a plus de raison d’être. Le Liban pluriculturel et pluricommunautaire est le lien, le bien commun de tous les Libanais. La culture de l’autre est une partie intrinsèque de la mienne. C’est notre patrimoine commun, notre histoire et notre géographie commune, notre corps indivisible. Il y a sur cette immense planète un seul espace où l’Orient et l’Occident convergent, se retrouvent, s’emboîtent, se mélangent, se conjuguent, s’épousent, s’interpénètrent. De par son pluralisme culturel religieux et linguistique, le Liban bénéficie de cette multiple appartenance, le priver de cette double ouverture, c’est le faire éclater en mille morceaux. Article paru le vendredi 30 mai 2008
Sommes-nous à nouveau à un tournant de notre histoire ? Quelles sont les étapes que nous avons franchies et celles qu’il nous reste à franchir ? Quinze années de guerre civile et régionale (1975-1990), quinze années de tutelle syrienne (1990-2005), trois années d’assassinats politiques et d’actes violents de déstabilisation et maintenant après trente-trois ans de...