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Actualités

La mort aux trousses

Beyrouth n’est plus qu’une jungle infestée de vautours. Beyrouth n’est plus qu’une proie agonisante dévorée par des meutes de prédateurs. Le Liban n’est plus qu’un navire à la dérive, une arène de jeux macabres où les combattants sont autant victimes que bourreaux. Partis politiques ou milices, chefs charismatiques ou chefs de bande, ils sont tous responsables : la boîte aux horreurs a été ouverte et plus personne n’est au gouvernail. N’a-t-on donc rien appris de toutes les tragédies passées ? Gangrenées par les armes de la bêtise, pourries par les discours de la haine ou de l’intransigeance, les grandes causes finissent immanquablement par se désagréger, par se putréfier dans les poubelles de l’histoire. Souveraineté, liberté, indépendance ? Trois mots assassinés qui sonnent comme autant de tocsins et il n’y a plus personne pour entendre raison, pour réagir à l’alarme. Libération ? Mais où donc a disparu la Résistance ? Perdue, engluée dans les ruelles, les chemins de traverse de Beyrouth. Israël jubile ? Personne ne s’en soucie. Il y a trente ans, la route de Jérusalem passait par Jounieh, veut-on, aujourd’hui, la faire passer par le Sérail ? Pluralité, convivialité ? Celles qui font la richesse, l’unicité du Liban ? Elles explosent dans toute leur faillite, dans toute leur déroute sur les nouvelles lignes de démarcation (honnie soit cette expression !), à Tarik Jdidé et à Keyfoun, à Halba et à Tripoli. Elles sont massacrées, trucidées, sous les bottes des nouveaux jihadistes, ceux qui ne carburent que par la haine de l’autre, qui ne s’identifient que par leur appartenance à la communauté, à la confession, quelles qu’elles soient, où qu’elles se trouvent. Le Liban se meurt et ils en sont encore à manœuvrer, qui pour sauver les meubles, pour sauver la face, qui pour enfoncer le clou, pour humilier davantage. Dialogue, liberté d’expression ? Tous y appellent, tous s’y engagent, mais les uns ont le doigt sur la gâchette, les autres sur le bouton de la machine infernale. L’édifice craquelle, s’écroule et on les entend encore vociférer, lancer des insultes, s’accuser réciproquement de tuer le Liban de l’exception, la poule aux œufs d’or, celle malheureusement qui ne pond plus que des œufs pourris, ceux qu’ils mériteraient de voir se briser sur leurs visages, comme des gifles assénées à des malotrus. Une scène extraordinaire, un décor surnaturel : les protagonistes parlent la même langue, mais s’évertuent à la rendre incompréhensible. Dans ce théâtre de l’absurde, Ionesco et Kafka se seraient délectés, auraient trouvé là de nouvelles sources d’inspiration, celles qui leur auraient fourni matière à de nouveaux chefs-d’œuvre. Assis sur les chaises de Ionesco, les Libanais auront-ils jamais l’occasion de faire le procès de tous ceux qui les ont conduits vers l’abîme ? * * * Où en est-on aujourd’hui ? Le Hezbollah a remporté une victoire militaire en juillet 2006 face à Israël, mais n’en a pas récolté les fruits politiques. Rebelote, en ce triste mois de mai 2008 : putsch réussi à Beyrouth, mais toujours pas de dividendes politiques. Résultat : l’impasse se prolonge, l’enlisement dans la discorde, dans la redoutable « fitna » se confirme et la Résistance bascule dans la peau d’une milice, celle qui affronte d’autres milices, bien loin de son terreau naturel au Sud, un piège, une dérive dont le Hezbollah se serait bien passé, ne serait-ce que pour préserver ce qui reste de son auréole, celle qu’il s’était confectionnée dans les combats contre Israël, une auréole largement égratignée par les événements des derniers jours. Un constat, dont toutes les parties devraient tenir compte : jamais, tout au long des impossibles guerres libanaises l’équation vainqueur/vaincu n’a pu prévaloir, jamais, tout au long des années de vilenie, la parole, la plume libres n’ont pu être muselées. Tous ceux qui ont cru, à un moment ou à un autre de leurs illusoires triomphes, qu’ils pouvaient, seuls, décider du destin de tous, ont fini par se casser les dents, par reconsidérer leurs calculs. Le mal a été fait et toutes les parties en assument la responsabilité. Il s’agit maintenant de s’en sortir par le biais d’un compromis honorable : préserver le crédit, la dignité de l’État, dégager le Hezbollah du guêpier milicien et sectaire où il s’est fourvoyé. La planche de salut a été agréée par tous, elle passe par l’institution militaire et par l’élection du général Sleimane à la présidence de la République. Tout atermoiement serait suicidaire, toute tergiversation ouvrirait les portes de l’enfer. Suprême infamie : en juillet 2006, les populations ont pris les chemins de l’exode fuyant la barbarie israélienne, aujourd’hui elles fuient la barbarie milicienne, celle qui prétend se battre pour que vive la Résistance. Dans les rues de Beyrouth-Ouest, dans les venelles de Tripoli et de Keyfoun, de Aley et de Halba, les têtes brûlées attendent leur heure de gloire. Les plus jeunes n’ont même pas 15 ans. Les adultes de demain, les combattants de l’apocalypse. Nagib AOUN
Beyrouth n’est plus qu’une jungle infestée de vautours. Beyrouth n’est plus qu’une proie agonisante dévorée par des meutes de prédateurs.
Le Liban n’est plus qu’un navire à la dérive, une arène de jeux macabres où les combattants sont autant victimes que bourreaux.
Partis politiques ou milices, chefs charismatiques ou chefs de bande, ils sont tous responsables : la boîte...