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Actualités - CHRONOLOGIE

Nassib Boulos, avocat palestinien : La paix n’est pas qu’un morceau de papier

«Ce soir-là, j’étais dans la vieille ville de Jérusalem avec Abou Saïd, un ami qui travaillait comme chauffeur pour les journalistes et pour moi-même. Quand le partage de la Palestine a été annoncé, la ville a subitement plongé dans l’obscurité. Toutes les lumières se sont éteintes. Un lourd silence s’est abattu sur nous. C’était comme le signe d’un deuil qui commençait. » Les années n’ont pas effacé dans la mémoire de Nassib Boulos le souvenir de ce 29 novembre 1947, date à laquelle les Nations unies votent le plan de partage de la Palestine. Soixante ans plus tard, les yeux de ce Palestinien de 88 ans se remplissent toujours de larmes à l’évocation de ce jour historique qui marqua un tournant dans l’histoire de la région. Nassib Boulos est né en 1920 à Saint-Jean-d’Acre, à quelques minutes du village familial, Kfar Yassif, où il passe les premières années de sa vie avec ses parents et ses cinq frères. Quand il a 9 ans, sa mère décide que l’éducation des enfants doit se faire à Beyrouth. La famille s’installe à Hamra. « À l’époque, Hamra ne comptait que quelques maisons, entourées de vergers et de dunes », se souvient Nassib Boulos. Quelques années plus tard, en 1936, le père de Nassib est nommé directeur général des hôpitaux à Jérusalem. La famille revient en Palestine. Son bac en poche, Nassib part à Londres pour y poursuivre ses études. En 1939, il revient à Jérusalem où il achève ses études de droit avant de travailler comme journaliste pour le magazine Time and Life. « Le partage de la Palestine n’était pas une surprise pour moi, explique M. Boulos. Je me souviens d’une soirée passée en 1947 avec l’écrivain Arthur Koestler au café Talpioth, à Jérusalem. Nous discutions le pour et le contre du partage de la Palestine. Subitement, Koestler a frappé du poing sur la table et s’est exclamé : “Je ne sais pas pourquoi nous perdons notre temps à discuter de ça. Ils (les émigrés juifs) arrivent, et tu ne peux rien faire pour l’empêcher. Le mouvement est lancé et il est bien trop fort pour être arrêté”. Il avait raison. » Après la création d’Israël, le jeune et bouillonnant Nassib refuse de baisser les bras. En 1949, il est membre de la délégation palestinienne qui se rend à Lausanne dans le cadre de la première commission de conciliation sur la Palestine. Cette commission comprenait des délégations américaine, française et turque. Ses deux principaux axes de travail étaient la question du droit au retour ou à des compensations pour les réfugiés palestiniens, et le fait que la partition, telle que définie par les Nations unies, devait être la base des discussions. Après une série de réunions dans différentes capitales arabes et en Israël, peu d’avancées avaient été enregistrées. La commission décida alors de se réunir en Suisse et d’y inviter des délégations arabes et israéliennes. « À Lausanne, j’ai conseillé à mes collègues de ne pas s’attarder sur ce qui ne pouvait être changé, à savoir la partition de la Palestine. Il me semblait important de restreindre nos requêtes au droit des réfugiés palestiniens, à la révision des frontières selon des considérations économiques et humanitaires, au déblocage des comptes bancaires palestiniens localisés dans les territoires occupés par Israël et au statut international de Jérusalem tel que mentionné dans le plan de partition », souligne M. Boulos. Les négociations traînent et s’achèvent sans réelle avancée. Seule bonne nouvelle : en août 1950, les comptes bancaires palestiniens sont débloqués grâce à une formule proposée par M. Boulos. Après un passage à Jérusalem, M. Boulos s’installe à Beyrouth. Quelques années durant, il travaille comme conseiller auprès de l’organisme onusien chargé des réfugiés, avant de démissionner et de se consacrer à sa carrière d’avocat à Beyrouth. Cela fait bien longtemps que M. Boulos ne se fait pas d’illusions sur la possibilité d’une résolution rapide du conflit israélo-palestinien. « À l’issue des discussions de Lausanne, j’ai déclaré au quotidien égyptien al-Ahram que le monde arabe aurait pu limiter Israël à une petite enclave si les nations arabes avaient réagi de manière unie, de bonne foi et avaient jeté toutes leurs forces dans la bataille entre le 15 et le 30 mai 1948. Cela n’étant pas arrivé, j’ai prédit que l’État hébreu allait se développer en un empire, et qu’il ne fallait pas compter sur une résolution du conflit avant cent ans. » Soixante ans plus tard, M. Boulos dénonce toujours le manque d’unité du monde arabe sur le dossier palestinien, mais il sait aussi que le facteur humain est essentiel. Détenteur de la nationalité française, il retourne de temps à autre dans les territoires palestiniens. Au cours de sa dernière visite, en 1995, l’avocat a été invité à déjeuner par l’ancien président israélien, Chaim Herzog. « Le fils de l’ancien président, un colonel de l’armée, était présent à ce dîner. Je lui ai demandé s’il avait des amis au sein de la communauté arabe israélienne, s’il était déjà allé au cinéma ou s’il avait dîné avec un citoyen arabe israélien. Il m’a répondu par la négative. Israël comprenait à l’époque 1,2 million d’Arabes israéliens qui votent en Israël et dont certains ont, peut-être, soutenu son père, et lui ne côtoie aucun d’entre eux ! La paix n’est pas qu’un morceau de papier. C’est avant tout un état d’esprit. Comment peut-on espérer parvenir à la paix avec un tel état d’esprit ? » Propos recueillis par É.S.
«Ce soir-là, j’étais dans la vieille ville de Jérusalem avec Abou Saïd, un ami qui travaillait comme chauffeur pour les journalistes et pour moi-même. Quand le partage de la Palestine a été annoncé, la ville a subitement plongé dans l’obscurité. Toutes les lumières se sont éteintes. Un lourd silence s’est abattu sur nous. C’était comme le signe d’un deuil qui...